Publié au Défi du Samedi sur le thème du Quai
Si vous ne me croyez pas faites donc l'essai. Allumez une cigarette sur le quai d'une gare et vous verrez arriver votre train à la première taffe.
Ou bien entamez un pan bagna tomate-oeuf dur-mayonnaise et vous le verrez arriver à la première bouchée.
J'en étais là de mes réflexions inspirées de la loi de Murphy quand il est arrivé dans mon dos, crachotant et vapotant telle la Bête humaine de Flaubert.
Zola ? Si vous voulez.
En
tout cas je l'attendais devant et il est arrivé par derrière,
perfide, vicieux, ricanant du bon tour qu'il m'avait joué.
Il
n'existe rien de plus traître sur terre qu'un quai, à part
peut-être deux quais.
Ce
trottoir grouillant de pékins encore endormis qui le quittent
croisant les pékins fatigués de la nuit qui y descendent me donne
la nausée comme disait Camus.
Sartre ? Si vous voulez.
Mais c'est à mon avis l'invention la plus tordue qu'on ait produite depuis le chemin de fer.
Heureusement qu'un quai ne possède que deux bouts car vous attendrez toujours au mauvais bout du quai la voiture qui vous nargue au bon bout du quai … c'est le bouquet !
Alors il fallait bien que ça m'arrive.
J'éteins ma clope et prenant mes jambes à mon coup, je suis le troupeau jusqu'à cet obstacle qui porte bien son nom – le tournis-quai – cette roulette russe qui tournique dans le sens opposé à toute logique.
J'en ressors essoré; par bonheur le faux plat est descendant entre le hoquet et le baquet.
J'avise un préposé au quai – OK – vêtu d'un paletot-quai couleur corail ou saumon fumé.
Le type est déjà bien chargé à cette heure matinale; sans vouloir porter de jugement il doit fonctionner au Martini-quai.
Pas le temps de lui faire un discours : »Voiture 2 siouplait ?»
La réponse du professionnel tombe comme un couperet ou une machette : « C'est tout d'oit »
J'ai une veine de cocu que le quai ne tourne pas à angle droit ou pire à angle gauche.
Dans ma course haletante je distingue le suave message de Simone – la voie ou plutôt la voix de la SNCF – dans les haut-parleurs : « Attention à la fermeture AUTOMATIQUE des portes »
Je hais le mot automatique ; il a dû être inventé en même temps que la loi de Murphy.
L'autre mot pour automatisme c'est asservissement, ça convient bien à la situation et c'est pourquoi l'esclave que je suis n'a d'autre option que stopper sa course folle à Mickey c'est à dire au milieu.
Le temps de sortir un mouchoir, la Bête a quitté son port d'attache.
Je n'avais jamais remarqué à quel point un wagon de queue peut être moche, même un wagon de queue de mi-quai.
Je m'éponge le visage puis je rallume aussitôt ma cigarette … on ne sait jamais. Je ne perds rien à essayer jusqu'à ce que le type au paletot-quai couleur saumon fumé me file au train pour me réciter l'article 8 du décret 2016-541 selon lequel les quais sont non fumeurs et que l'amende forfaitaire – la SNCF ne mégote pas – s'élève à 68 euros !
En fin négociateur, je parlemente, je me présente, on échange nos patronymes.
Le type s'appelle Murphy !
Si vous ne me croyez pas faites donc l'essai.