Publié sur le site MilEtUne d'après l'illustration
Quand
j'ai découvert que quelqu'un avait sans mon accord résilié mon
abonnement au minitel et qu'autour de moi les gens ne parlaient plus
que de « sans fil » et de GSM, j'ai compris qu'une
révolution était en marche.
J'ai réalisé que le dernier refuge
pour me préserver des portables restait la cabine téléphonique. Il
fallait que je contacte ce quelqu'un qui me privait brutalement de
mon 3615 !
Au grenier j'avais déjà dû remiser la TSF au
côté du poste à galène de mon arrière grand père … le monde
devenait fou.
A
Asnières au coin de ma rue il y avait encore quatre de ces
merveilleuses boîtes rouges et c'était bien le diable si je
n'arrivais pas à joindre le sagouin qui venait de débrancher ma
messagerie rose.
Par malchance la première cabine était occupée
par deux jeunes gens en proie à un charivari indescriptible
que je me gardai bien d'interrompre d'autant plus que leurs regards
courroucés et une forte odeur d'herbe exotique n'incitaient pas à
la négociation.
La deuxième cabine était vide, déserte et dévastée ; son mécanisme éventré témoignait de la violence avec laquelle un sinistre individu l'avait étripée pour quelques maigres pièces de monnaie !
La troisième me parut exigüe au point que je ne pus glisser que deux doigts par la petite porte ! J'ai toujours pensé que la miniaturisation nous perdrait et qu'à vouloir faire toujours plus petit, on n'en sort pas grandi.
Bref,
j'avisai la dernière cabine et m'y précipitai avant qu'on ne me
grille la politesse.
Un hurluberlu y avait entreposé sa
bibliothèque. Un panonceau indiquait « Cabine à livres »,
vantait l'économie circulaire et demandait qu'on laisse le lieu en
bon état.
Vous me croirez si vous voulez mais j'eus beau
retourner chaque étagère, je n'y trouvai aucun bottin.
J'allais
rentrer chez moi pour écrire une lettre de réclamations aux PTT
quand une jeune femme me heurta au seuil de la cabine à
livres.
Découvrant le désordre que j'y avais mis en cherchant,
elle s'écria « Quel sauvage a fait ça ? »
Je
pris une mine contrite : «Ils n'ont même pas de bottin »
Elle fronça les sourcils : «Le quoi ? »
« Le bottin … l'annuaire téléphonique » insistai-je.
Elle éclata de rire : «Vous venez de quelle planète ? »
J'ai dit « J'habite ici à Asnières … au 22 ».
Je la trouvais bien indiscrète, alors j'ai demandé à mon tour : « C'est quoi votre petit nom ? »
« Ulla » a t-elle répondu.
« C'est vous la Ulla du 3615 ? »
Elle a froncé les sourcils.
« Vous ne pouvez pas savoir à quel point vous avez marqué mon imaginaire » ai-je bafouillé sur le ton de la confidence.
Elle
a dû me prendre pour un pervers ou un demeuré ; elle a pris un
livre au hasard dans la cabine à livres et elle est sortie
précipitamment.
J'ai eu le temps de lire le titre «Heureux …
L'intégrale des sketches de Fernand Raynaud ».
J'ai
pensé que cette Ulla n'avait pas assez d'humour pour goûter
pleinement ces histoires.
J'ai repris la route du 22 … j'avais
une lettre urgente à écrire aux PTT.