dimanche 6 mars 2011

Timide

 
Si la timidité est une crampe de l'esprit [Henri de Régnier], j'en tire une bonne !
 
"Poussez! Poussez que diable!" C'est sur ces mots rassurants aboyés aux oreilles de ma mère que j'en suis arrivé là.
On dit que j'ai mis du temps à pointer mon nez dans ce monde de brutes comme si je cherchais la marche arrière et ça ne me surprend guère, alors qu'aujourd'hui dans la sérénité des cliniques zen des mamans périduralisées pondent des marmots aussitôt prêts à mordre la vie à pleines dents gencives!
Je ne saurais dire si c'était à cause de l'haleine fétide du médecin ou des lolos de la sage-femme mais j'ai appris très vite à baisser les yeux.
Très tôt c'est à dire dès la cour de récré, entre les cogneurs prêts à la bagarre, les bavards avec leurs histoires de Toto et les silencieux réfugiés dans l'ombre des platanes j'ai choisi mon camp. C'était décidé ou plutôt c'était ainsi je serais Timide.

J'ai longtemps cru que les timides étaient naturellement de petite taille. Parmi les nains j'aurais pu naître joyeux ou même atchoum mais non, j'étais timide... j'étais joyeux, un peu amoureux de Blanche Nèje ma voisine mais surtout timide.
Pour moi le timide était petit et donc dévolu au premier rang de la classe, celui sur qui pointe le doigt qui le propulse sur l'estrade et son vertigineux écran noir, celui dont les oreilles vermillon servent de référence en cours de peinture.
Le timide a aussi la responsabilité quotidienne de contenir la meute d'affamés qui l'écrase sur la porte de la cantine en lui arrachant des "Poussez pas" quasi inaudibles.
Dans les réunions de famille il est celui qu'on fait monter sur la table pour bredouiller du Guy Béart tandis que l'aïeul sourd comme un pot lui lance des "Pousse gamin! Pousse plus fort!"  
Puis avec le temps notre Timide s'affirme - du moins le croit-il - au point d'être capable de fixer des yeux pendant une heure le bout de ses rangers en tête d'un troupeau de bidasses indisciplinés.
Le même Timide aguerri - mais pas guéri pour autant - osera même repousser les avances d'une greluche boutonneuse aux prétextes qu'il est venu à la boum pour apprécier la musique... et que les filles c'est pas son truc.

Quelques décennies plus tard, notre Timide n'aura conservé de sa timidité qu'une collection - oui je collectionne les timides célèbres - et parmi eux moins de nains que de grands timides par la taille comme De Gaulle, Jacques Brel et un prénommé Zinédine...
Devant autant d'exemples de réussite sociale Timide a envie de dire merci à la vie - tout nain qu'il est - et d'adresser un discret pied de nez à tous ces forts en gueule, bon sang!

"Poussez! Poussez fort!" ne cesse de me répéter mon psy et je pousse chaque semaine, allongé sur son sofa en fixant l'horizon incertain de mes orteils recroquevillés.
J'ai même l'impression d'avoir grandi et je devrais me ménager car à trop pousser je vais finir boute-en-train ou même extraverti et ça me fait peur.
Je suis comme cet oiseau qui piaille sous ma fenêtre dès l'aurore et s'envole au moindre souffle d'air, et comme lui je sais qu'un jour viendra où j'irai me cacher pour mourir.
 
Publié aux Impromptus Littéraires

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire