Publié aux Défis Du Samedi
Ce n'est pas le mot 'machie' qui
m'inquiétait le plus dans tauromachie mais plutôt 'taureau', alors j'avais choisi Fuego pour inaugurer ma panoplie de matador.
Fuego
c'est le teckel de la voisine et je me
sentais de taille à l'humilier, armé des fléchettes de mon petit
frère en guise de banderilles et engoncé dans mon habit de lumière.
Dans
toute carrière artistique il y a des
hauts et des bas... les miens étaient en soie rose du plus bel effet
mais au premier coup de griffes ils sont tombés en lambeaux sur mes zapatillas, enfin sur mes pataugas. J'aurais
jamais cru qu'une saucisse à pattes avait des griffes et qu'elle savait si bien s'en servir.
Je ne parlerai pas de la capote
ni
de l'épée en plastique mou qui furent plus des ennemis que des
alliés dans ce combat inégal et je les abandonnai dès les premières
passes.
Durant les passes le matador observe la bête
afin de trouver son point faible pour mieux l'occire mais je pourrais jurer que ce jour-là c'est le teckel qui m'observait.
Je sais que vous ne me croirez pas quand je
vous dirai que la soie est l'aliment préféré du teckel qui entre alors dans un état second pour ne pas dire troisième!
La belle chaquetilla
- les
non-initiés appellent ça une veste et c'est bien ça que j'ai pris -
était en soie brodée du plus bel effet. Autant dire que je ressemblais à
s'y méprendre à un homard doré mais qu'est-ce qu'on
est serré au fond de cette veste! J'ai pas eu le temps d'écarter les
pinces que Fuego l'a fendue de haut en bas pour en faire deux torchons
ridicules. Pour ceux qui l'ignoreraient, le teckel a
horreur du homard, surtout du homard endimanché.
Mes valeureux picadors P'tit Louis et Bébert
avaient déguerpi depuis longtemps sur leurs vélos.
Restait la culotte, une superbe
taleguilla qui vous moule les attributs de si belle manière
qu'elle rend impossible toute sortie c'est à dire toute fuite à grandes
enjambées. Croyez-moi quand on a dix ans et qu'on est
un mâle normalement constitué, on a besoin d'une certaine aisance
pour prendre ses jambes à son cou.
Quand je pense que le homard se déplace avec
sa queue, j'en étais déjà incapable avec mes jambes, alors...
...
alors je suis resté sur place, jambes
serrées - les aficionados appellent cette passe une Kikiriki et moi
une kiki rikiki - à attendre que la mère Benitez vienne maîtriser son
monstre. J'aurais dû me dire qu'avec un nom de famille
pareil, j'allais passer un sale quart d'heure.
De cette époque où ma carrière de matador
avorta brutalement, je garde la boîte en carton et le gilet, un splendide chaleco également en soie - c'est fou ce que l'Espagne a pu contribuer à la préservation du bombyx du mûrier -
qui me sert depuis à nettoyer mes lunettes.
Finalement
je n'ai aucun regret d'avoir
épargné Fuego... le teckel est teuton et la corrida latine et puis
les oreilles et la queue ne sont pas les meilleurs morceaux dans le
teckel.
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