Elle
prenait comme moi le 18h45 avec tous ceux qui comme nous - s'étant fait
piéger par la douceur bucolique du canal et l'odeur enivrante des
collines surchauffées -
n'avaient comme planche de salut que les trois wagons brinquebalant
du tortillard pour regagner la capitale bourguignonne.
Notre sauveur avait gardé le nom
de Train des Pêcheurs, de l'époque où les dijonnais
endimanchés ou chargés de leurs équipements débarquaient dans les gares
de la vallée de l'Ouche jusqu'au terminus de Gissey-sur-Ouche
pour venir taquiner le goujon ou la perche sur les bords du canal.
Aujourd'hui le petit train de la
Côte d'Or vivait ses derniers instants...
Je
ne sais pas pourquoi je
m'étais laissé aller à lui raconter tout ça mais elle avait l'air si
captivée dans sa jolie robe Vichy bleue assortie à deux grands yeux
étonnés.
Elle
avait abandonné sa
Saône-et-Loire natale pour la première fois pour visiter une cousine
le temps du week-end et s'inquiétait déjà de sa correspondance à Dijon
pour Mâcon.
Ici elle était une cul-terreuse
et cette expression bien de chez nous la fit éclater d'un rire cristallin!
Joliment
garni son décolleté
Vichy tressautait aux moindres cahots du wagon au point que je
réalisai qu'on avait déjà passé la halte de Sainte-Marie et même la gare
de Pont-de-Pany, soit la respectable distance de six
kilomètres!
Mais on allait bientôt arriver
au pont métallique qui franchit en biais le canal vers Fleurey, et il y avait de quoi raconter...
Autour de nous les voyageurs -
repus d'un solide pique-nique et autant saoulés d'air vivifiant que d'aligoté - beucalaient et ronflaient à qui mieux mieux.
Je dirai que nous étions seuls
au monde dans les remugles de fumée et de bourriches poissonneuses.
Un
vacarme assourdissant de
ferraille torturée annonçait la traversée du canal par le vieux pont
métallique et elle dût incliner la tête vers moi pour m'entendre
raconter. Cette intimité soudaine et l'ourlé délicat de son
oreille achevèrent de me donner le virot.
Adieu
poutrelles et rivets,
péniches surchargées, fonderie de cloches et usine de moutarde...
délaissant notre patrimoine, je plongeais effrontément dans le balcon
d'une étrangère!
Une fois passé le pont, un
silence tout relatif s'installa et sa main dans la mienne également.
Déjà
le village de Velars et le
viaduc de la Combe Bouchard se profilaient et le souvenir encore
récent de la catastrophe ferroviaire de 62 ressurgissait à chaque fois
que j'approchais du lieu.
Pourquoi gâcher un si bel
instant en évoquant la terrible chute des treize voitures de l'express 53 et ses quarante morts?
Je me contentai de décrire le
grand viaduc de pierre et la majesté de ses onze travées cramponnées à la roche à plus de quarante mètres de haut.
Elle buvait mes paroles, et moi
ses grands yeux bleus.
Chaque secousse nous tarbeulait
et nous rapprochait un peu plus sur l'étroite banquette de bois ciré.
Vindieu!
Pourquoi ce tortillard
allait-il si vite pour une fois? J'en venais à regretter une de ces
pannes qui stoppait l'antique locomotive sur l'unique voie et nous
laissait des heures sur le bas-côté en plein
cagnard!
Une
pression plus forte de ses
doigts me sort de ma réflexion; elle s'extasie à la vue des tuiles
vernissées d'un clocher annonçant l'arrivée toute proche dans la
capitale des ducs de Bourgogne.
L'église Saint-Baudèle de
Plombières-les-Dijon rutile aux rayons du grand sulot de Juillet.
Non, je n'ai rien à dire sur
saint-Baudèle dont le nom la fait encore rire, de ce rire cristallin qui m'a envouté depuis notre départ.
Je
ne lui parlerai pas des
tuiles polychromes dont les dessins losangés décorent nombre de nos
toits, ni d'oncle André et tante Henriette qui vécurent heureux dans
l'ombre de cette église et chez qui j'allais si
souvent.
Je veux juste profiter de ce
voyage d'un autre temps avec ces doigts mêlés aux miens et cet océan bleu...
Terminus Dijon-Ville: A
propos d'océan, nous n'avons rien vu des trente sept hectares du lac Kir.
Les voyageurs s'étirent. Comment
peux t on dormir et se priver du spectacle de tels paysages champêtres?
Un berlodiau au pantalon déniapé
déplie ses jambes en nous adressant un clin d'oeil goguenard:”Faut jarter les amoureux!”
Ma bouche a trouvé la
sienne.
Ma jolie cul-terreuse plaque ma
main fermement sur ses genoux découverts.
J'ai bougrement envie d'aller
visiter Mâcon...
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