Depuis
que Raul Castro a serré la paluche à Barack Obama, tout le monde
n'a plus que du La Havane dans la bouche.
Alors
dès que Leonard est tombé dans le panneau... enfin, sur ce panneau
publicitaire sur le chemin du boulot, il ne pense plus qu'à
s'expatrier.
Là-bas
c'est les Zantilles – les zîles paradiziaques comme on dit en
zozotant avec des zétoiles plein les zieux – avec des cocotiers
partout pour accrocher son hamac et des filles avec des mains pleines
de doigts pour rouler des feuilles de cigare et plus si affinités!
Il
va avoir tout le temps pour apprendre à fumer.
7573
kilomètres c'est tout ce qui sépare Angers – la perle de l'Anjou
– de La Havane sa nouvelle ville de rêve... il lui suffit
seulement de tourner à droite.
Y
z'auraient pu le dire plus tôt, ça semble si fastoche.
Alors
Leonard balance un grand coup de volant à droite, abandonne son
trajet habituel, celui qui l'emmène à l'usine chaque matin depuis
quatorze mille deux cent trente matins.
La
vieille Twingo tangue sur la gauche, évite une file de pékins
pressés d'aller au turbin...
Là-bas
il refourguera sa caisse si elle le lâche pas avant et ne prendra
plus que des Coco taxi pour aller boire des coups vers Miramar avec
ses nouveaux potes.
Pour
l'heure il enfile la rue du Roi René puis la rue Paul Bert, y saura
jamais qui c'était ce Paul Bert.
Là-bas
au moins le chanteur Obispo a une rue à son nom: la rue Obispo où a
vécu le fameux Hemingway, celui qu'a écrit Pour qui sonne le
gland.
Leonard
va pouvoir oublier le rosé d'Anjou pour des trucs plus musclés;
parait qu'y a du monde au balcon quand on vous sert la téquila et
puis si Rihanna y promène son cul, ça peut pas être relou.
Leonard
adorera visiter le quartier chinois, y a toujours un quartier chinois
où qu'on soit dans le monde pour pas être dépaysé. Y aura une
porte avec des lions, pas comme au Lion d'Angers où y en a pas.
Place
André Leroy ça vire sec; il adore faire crisser les pneus chaque
matin depuis quatorze mille deux cent trente matins pour réveiller
les flemmards.
Leonard
n'a pas vu débouler le gros camion de la Seita par la rue
Rabelais...
Pour
le coup ça fume, ça sent le tabac et l'huile de vidange et aussi la
ferraille calcinée.
Les
copains disent que les camions de la Seita ça sert qu'à transporter
de la mort mais Leonard ne fume pas, enfin pas encore.
Penchée
sur lui, la jeune nana n'a rien d'une havanaise et rien au balcon
qu'une ample combinaison blanche avec une grosse croix rouge.
Y
a aussi une odeur bizarre de poulet grillé, surement ce fameux
“pollo asado” avec des haricots rouges et des bananes frites...
mais y z'ont pas lésiné sur la sauce tomate!!
Comment
je m'appelle? “Euh, appelez-moi Leonardo”.
Leonardo
ça sonne bien – un prénom qui va faire un tabac – mais la jeune
nana a l'air inquiète et il entend pas c'qu'elle lui souffle à
l'oreille.
Hein?
Si y préfère un mojito ou un daïquiri?
Pas
facile de répondre avec ce masque sur la tronche...
La
nuit vient de tomber subitement... faudra qu'il s'habitue.