Les Défis Du Samedi nous invitent aux maléfices...
Depuis
tout petit mon obsession c'était de déchiffrer en défrichant du
défraîchi et c'est ce que je fis sans difficultés.
L'enseigne
était délabrée mais je pus lire aussitôt "Mal et Fils".
Je
tirai la chevillette et comme l'avait prédit Perrault en son temps
la bobinette pivota vers le bas et sortant de la gâche, finit par
choir en libérant l'huis qui n'avait pas dû s'ouvrir depuis fort
longtemps.
J'aurais
pu simplement dire que j'avais ouvert cette porte mais j'ai ce souci
du détail qui agace parfois et auquel je ne peux résister.
J'entrai
et je dû m'habituer à la pénombre où un maigre lumignon qui
tenait plus du quinquet que de la lampe tentait d'éclairer un
guéridon encombré de grimoires et de bouquins.
L'un
d'eux portait un titre énigmatique "Nonante nuances de noir"...
pas franchement gai tout ça.
Sur
un perchoir vermoulu un perroquet à croupion bleu passablement
déplumé me regardait d'un oeil morne. "Vive le roi" lança
t-il d'une voix rauque comme pour alerter de ma présence et sans
présumer de mes origines modestes.
"C'est
trop d'honneur" répondis-je "Monsieur Mal est-il là... ou
son fils?"
"Vive
la reine" rectifia le volatile qui semblait ne pas m'avoir bien
calculé.
Signe
d'un courant d'air venu de la pénombre, le lumignon se mit à
flageoler puis le courant d'air ouvrit la bouche. "C'est pour
quoi?" grinça une voix fluette.
Le
gnome – je dirai un petit gnome au risque de pléonasmer – source
du courant d'air bondit sur le guéridon histoire de pouvoir parler
de gnome à homme :"C'est pour quoi?" répéta t-il comme
si je n'avais pas entendu.
"Monsieur
Mal ?" m'enquis-je.
Il
éructa une fois – ou flatula, la différence est ténue chez les
petits gnomes – avant de dire :"Non c'est le fils, mon père
n'est plus...là"
"Désolé"
crus-je bon de répondre à l'orphelin.
"ça
ne fait rien" dit-il "je remplace avantageusement ce vieil
abruti qui est parti avec la marâtre de Blanche Neige et son foutu
miroir!"
"Quel
foutu miroir ?" osai-je demander.
Un
gnome qui soupire n'est pas beau à voir, pas plus que quand il rote
ou pète, aussi ne vous décrirai-je pas la scène en détail.
Il
expliqua: "Cette marâtre possédait un miroir maléfique, un
smartfaune de chez La Pomme qui donne le temps qu'il
fait, des nouvelles de ses sujets et des recettes de beauté comme ce
masque de Cesare Frangipani à base de frangipane et de beurre en
pot... mais pourquoi vous bassiner avec tout ça ? Allez plutôt
chercher ces balivernes chez Vegas qui en remplit des grimoires
entiers dans sa Sarthe!"
Pour
un petit gnome il en avait visiblement gros sur la patate ce qui lui
donnait l'air d'un culbuto ridicule.
J'évitai
donc de le questionner plus avant sur son père, sa poufiasse et ce
miroir empoisonné.
Ma
quête était toute autre et quand j'eus exposé l'objet de ma
visite, le petit gnome se transforma en deux ronds de flan.
Je
cherchais en fait une sorte de décodeur magique, une poudre de
perlimpinpin, un onguent ou même un lavement enfin quelque chose qui
puisse me traduire des mots et des expressions nouvelles pour moi
comme galimatias, chacun-et-chacune, celles-et-ceux, pique-boeuf,
aggiornamento,totipotent, irrédentisme et tant d'autres
calembredaines.
J'évitai
certaines expressions comme In petto qui aurait pu l'inciter à
flatuler de nouveau.
Le
double rond de flan me regarda de l'air désolé du commerçant au
bord du dépôt de bilan :"Je n'ai rien pour ça. J'ignore qui
parle de la sorte et je n'aimerais pas être à votre place!"
"Je
n'ai pas choisi ma place pas plus que je n'ai choisi la sienne"
soupirai-je à mon tour "j'aimerais juste comprendre ce qu'il
dit, moi qui n'ai pas mon pareil pour déchiffrer en défrichant du
défraîchi"
Tout
petit qu'il était ce gnome n'était pas dénué de jugement
puisqu'il conclut en hochant sa tête de flan:"Il vaut peut-être
mieux ne pas comprendre du tout..."
Je
sentis que j'allais repartir bredouille et le gnome sentit ce que je
ressentais.
Comme
je repassais l'huis – j'adore repasser les huis – en le
remerciant de rien, il me tendit la perche ou plutôt le perchoir.
Je
repris alors ma route avec mon nouveau perroquet à croupion bleu
passablement déplumé et à l'oeil morne.
"Vive
le roi" me siffla t-il à l'oreille.
Finalement
ce babillard commençait à me plaire.
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