samedi 11 novembre 2017

Mal et Fils

Les Défis Du Samedi nous invitent aux maléfices...





Depuis tout petit mon obsession c'était de déchiffrer en défrichant du défraîchi et c'est ce que je fis sans difficultés.
L'enseigne était délabrée mais je pus lire aussitôt "Mal et Fils".
Je tirai la chevillette et comme l'avait prédit Perrault en son temps la bobinette pivota vers le bas et sortant de la gâche, finit par choir en libérant l'huis qui n'avait pas dû s'ouvrir depuis fort longtemps.
J'aurais pu simplement dire que j'avais ouvert cette porte mais j'ai ce souci du détail qui agace parfois et auquel je ne peux résister.
J'entrai et je dû m'habituer à la pénombre où un maigre lumignon qui tenait plus du quinquet que de la lampe tentait d'éclairer un guéridon encombré de grimoires et de bouquins.
L'un d'eux portait un titre énigmatique "Nonante nuances de noir"... pas franchement gai tout ça.
Sur un perchoir vermoulu un perroquet à croupion bleu passablement déplumé me regardait d'un oeil morne. "Vive le roi" lança t-il d'une voix rauque comme pour alerter de ma présence et sans présumer de mes origines modestes.
"C'est trop d'honneur" répondis-je "Monsieur Mal est-il là... ou son fils?"
"Vive la reine" rectifia le volatile qui semblait ne pas m'avoir bien calculé.

Signe d'un courant d'air venu de la pénombre, le lumignon se mit à flageoler puis le courant d'air ouvrit la bouche. "C'est pour quoi?" grinça une voix fluette.
Le gnome – je dirai un petit gnome au risque de pléonasmer – source du courant d'air bondit sur le guéridon histoire de pouvoir parler de gnome à homme :"C'est pour quoi?" répéta t-il comme si je n'avais pas entendu.
"Monsieur Mal ?" m'enquis-je.
Il éructa une fois – ou flatula, la différence est ténue chez les petits gnomes – avant de dire :"Non c'est le fils, mon père n'est plus...là"
"Désolé" crus-je bon de répondre à l'orphelin.
"ça ne fait rien" dit-il "je remplace avantageusement ce vieil abruti qui est parti avec la marâtre de Blanche Neige et son foutu miroir!"
"Quel foutu miroir ?" osai-je demander.
Un gnome qui soupire n'est pas beau à voir, pas plus que quand il rote ou pète, aussi ne vous décrirai-je pas la scène en détail.
Il expliqua: "Cette marâtre possédait un miroir maléfique, un smartfaune de chez La Pomme qui donne le temps qu'il fait, des nouvelles de ses sujets et des recettes de beauté comme ce masque de Cesare Frangipani à base de frangipane et de beurre en pot... mais pourquoi vous bassiner avec tout ça ? Allez plutôt chercher ces balivernes chez Vegas qui en remplit des grimoires entiers dans sa Sarthe!"
Pour un petit gnome il en avait visiblement gros sur la patate ce qui lui donnait l'air d'un culbuto ridicule.
J'évitai donc de le questionner plus avant sur son père, sa poufiasse et ce miroir empoisonné.

Ma quête était toute autre et quand j'eus exposé l'objet de ma visite, le petit gnome se transforma en deux ronds de flan.
Je cherchais en fait une sorte de décodeur magique, une poudre de perlimpinpin, un onguent ou même un lavement enfin quelque chose qui puisse me traduire des mots et des expressions nouvelles pour moi comme galimatias, chacun-et-chacune, celles-et-ceux, pique-boeuf, aggiornamento,totipotent, irrédentisme et tant d'autres calembredaines.
J'évitai certaines expressions comme In petto qui aurait pu l'inciter à flatuler de nouveau.
Le double rond de flan me regarda de l'air désolé du commerçant au bord du dépôt de bilan :"Je n'ai rien pour ça. J'ignore qui parle de la sorte et je n'aimerais pas être à votre place!"
"Je n'ai pas choisi ma place pas plus que je n'ai choisi la sienne" soupirai-je à mon tour "j'aimerais juste comprendre ce qu'il dit, moi qui n'ai pas mon pareil pour déchiffrer en défrichant du défraîchi"
Tout petit qu'il était ce gnome n'était pas dénué de jugement puisqu'il conclut en hochant sa tête de flan:"Il vaut peut-être mieux ne pas comprendre du tout..."
Je sentis que j'allais repartir bredouille et le gnome sentit ce que je ressentais.
Comme je repassais l'huis – j'adore repasser les huis – en le remerciant de rien, il me tendit la perche ou plutôt le perchoir.
Je repris alors ma route avec mon nouveau perroquet à croupion bleu passablement déplumé et à l'oeil morne.
"Vive le roi" me siffla t-il à l'oreille.
Finalement ce babillard commençait à me plaire.





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