samedi 14 mars 2020

Chez Laurent

Publié au Défi du Samedi sur le thème de l'orant (priant)



Dégoûté de n'avoir rien trouvé j'ai poussé la porte de cette échoppe qui ne m'avait pourtant rien fait ; l'enseigne indiquait tout simplement Chez Laurent.
Ça faisait bien cinq jours que je cherchais des orants pour ce fichu Défi du Samedi !

« Bonjour, vous n'auriez pas des orants par hasard ? »
Le type s'est agenouillé les mains jointes et j'ai failli repartir; ou ce gars était mime ou bien il était fou …
« J'dois en avoir quelques uns là-dessous » a t-il dit en ouvrant un tiroir aussi bas que poussiéreux.
Il avait dit ça avec un accent maghrébin ou berbère alors j'ai demandé : « Vous êtes d'où ? »
« Je suis des hauts d'Oran » a t-il répondu en se relevant fièrement « vous connaissez ? »
Je ne connaissais pas et il n'y avait pas lieu d'en être fier alors j'ai juste répondu : « C'est donc ça le relent dans votre échoppe ? »
«Un relent ? » a t-il dit «ça doit être à cause de ces vieilleries que je garde mais je ne suis pas fâché d'avoir un client, Monsieur comment ?»
« Monsieur Laurent » ai-je répondu sans réfléchir.
« Ah … vous aussi » a t-il remarqué.

Le premier orant qu'il m'a montré était un orant dévot qu'il appelait « Le dévorant » car selon la légende inscrite dessous il dévorait du beurre de missel.
Pas sûr qu'ils apprécieraient la vanne au Défi du Samedi.
« Vous avez autre chose ? »ai-je demandé.
Il a sorti un orant très différent, éthéré, un orant du genre oxygéné. «Celui-ci on l'appelle le Décolle-orant » a t-il dit fièrement.
Je trouvai qu'il n'y avait pas lieu d'en être fier.
« Autre chose ? »ai-je insisté.
Il en a sorti deux autres … un orant inculte qu'il appelait « L'ignorant » aux antipodes du suivant, un orant éduqué qu'il appelait « L'édulcorant ».
Je n'était pas très emballé et puis il y avait ce relent qui ne donnait pas envie de relever ce Défi.

« Attendez » s'est-il exclamé en raclant le fond du tiroir «il me reste ce vieil orant voûté – façon chapelle sixtine ou seventeen – comme s'il souffrait de rachialgie dorsale et qu'on appelle le Mal au dorant»
« Mal o do rant » ai-je ânonné à la limite de l'évanouissement.

Il me confia que pour le soulager on l'avait perfusé et rebaptisé « Le perforant ».
Le perfuseur était parait-il un orant rebouteux qu'on appelait « Le revigorant ».

Comme j'hésitais entre tous ces orants il me supplia en m'implorant de prendre le lot.
« C'est une bonne affaire » gémit-il « et puis ça débarrasse »
« Vous prenez la carte bleue ? » ai-je demandé sans conviction.
« Je prends tout » répondit-il ravi et il ajouta avec un petit rire «j'accepte même les cheik-reste-orant ».
Ils allaient se marrer au Défi du Samedi en apprenant que j'avais réglé ces machins avec des vieux tickets de la Sodexo !
Comme je repoussais la porte de cette échoppe qui ne m'avait pourtant rien fait, le type me rattrapa : »Prenez ça aussi, ça me fait plaisir ».
« Qu'est-ce que c'est ? » dis-je en prenant l'objet.
Le type avait l'air possédé : « C'est une statuette de vierge Orante, un authentique vestige de l'Acropole d'Athènes qui chante l'Ave Maria quand on la retourne »
Je retournai la statuette en plastique d'un joli vert fluo et je pus lire son épigraphe « Made in Taïwan ».
Ça s'est mis à nasiller : « Ave Maria … Oh mother hear a suppliant child »
Ça ne chantait même pas en latin. J'ai pris mes jambes à mon cou.
Voilà






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