Publié aux Défis Du
Samedi sur le thème du Rythme
Vindieu, dans mon enfance j'en ai paumé des
parties d'osselets, de billes ou de chat perché.
J'étais
trop lent ou trop rapide, trop bas
ou trop haut, trop long ou trop court... tout comme mon costume du
dimanche, celui qui grattait aux genoux au point qu'on m'appelait “cul
salé” tant je gesticulais sur ma chaise à attendre la fin
des sempiternelles boustifailles du dimanche.
Je
ne me souviens pas avoir été jamais en
harmonie avec le monde qui m'entoure. Quelles que soient les
circonstances, j'avais l'impression d'être en décalage permanent avec
les choses et les gens, tel un être venu d'une autre
planète.
J'aurais donné cher pour échapper à une
minuterie trop tôt éteinte, une porte qui se referme trop vite, un vélo qui freine bien trop tard.
J'étais un martien comme on nommait à
l'époque toute créature étrangère à notre bonne Terre.
Aujourd'hui les martiens sont des gens comme
vous et moi, surtout comme moi.
Que
j'écrase les arpions de ma cavalière au
mariage de l'oncle Hubert ou que je ferre trop tôt une touche de
poisson-chat dans le canal de Bourgogne, je collectionnais les
maladresses à vitesse grand W.
Pour
me guérir de cette tare je suivais
d'une esgourde et tous les jeudis le métronome du cours de musique
de Mademoiselle Demongeot dont le nez crochu et violacé dénonçait
catégoriquement tout lien de parenté avec la Mylène des
affiches de cinéma.
Lento, Moderato et Presto étaient et
resteront à jamais pour moi des frangins déjantés, un peu comme les Marx Brothers Harpo, Chico et Zeppo.
Bizarrement
le martien que j'étais carburait
sur les bancs de l'école et finissait toujours avant les autres si
bien qu'il parvint sans s'en rendre compte à l'âge d'aller crapahuter
sous les drapeaux.
Homme
de base de mon peloton, je redoutais
le “En colonne, couvrez!!” que l'adjudant m'aboyait aux esgourdes et
la pagaille qui en résultait me relégua très vite en queue de colonne,
là où traînent les clampins et les
beuzenots.
J'évitai
bien malgré moi les défilés, prises
d'armes, parcours du combattant et autres joyeuses réjouissances
qu'offre ce plaisant séjour dans l'armée et débarquai - deux jours après
les autres - sur le quai de la gare de l'Est, libéré d'un
rythme militaire que j'avais poursuivi pendant douze mois sans
jamais le rattraper.
Gisèle
et sa patience d'ange m'avaient
attendu - deux jours de retard après douze mois me semblait un délai
acceptable - et après avoir piauné et grigné des dents, elle me parut
pressée de m'emmener dans sa chambrette y rattraper tout
ce temps perdu.
Dans
nos discussions de piaule, il m'avait
semblé qu'au sujet des drôlesses je n'avais rien à envier aux plus
chauds lapins de la chambrée et je me sentais tout aussi pressé qu'elle
d'aller foutrailler.
A
peine jartés sur le lit et mon tiau au
garde-à-vous, je varlopai comme une bête et conclus dans la minute -
satisfait d'avoir rempli ma mission - quand Gisèle explosa!
Convaincu
d'avoir dépassé ses attentes, je
fus étonné qu'elle me traite de “dort-en-chiant” et, l'ayant alors
qualifiée de “râlue”, notre relation prit fin dans l'instant.
Aujourd'hui le métronome de Mademoiselle
Demongeot ne me serait d'aucune utilité tant j'ai la nette impression d'avoir progressé.
Peut-être
mes rares copines sont-elles plus
compréhensives que Gisèle à moins que ce ne soit cet étrange petit
lapin vibrant qu'elles ont l'habitude de sortir au moment où je
m'endors?
Et puis je me suis mis à la guitare... ou
plutôt au ukulélé de chez Apple, sur ma tablette bien sûr.
Parait que j'ai enfin du rythme, surtout
avec les morceaux préenregistrés.