Publié au Défi Du Samedi sur le thème des korrigans
Elle
est arrivée un soir sans lune sur la Korrigane, un ancien
brick-goélette qui s'empala à grand bruit sur la jetée, ameutant
la maréchaussée et toute la bourgade.
Mon
estaminet s'était vidé d'un coup de tous ces curieux avides de
faits divers et je m'apprêtais à fermer boutique quand une petite
fée malfaisante est entrée en ruinant mon parquet, ruisselante
d'embruns.
Je
l'ai aussitôt reconnue à son regard espiègle et à ses oreilles
pointues qui saillaient de sa chevelure hirsute parsemée de varech;
les anciens m'en avaient souvent parlé aux veillées mais j'en
voyais une pour la première fois ... c'était ma première.
D'une
seule main j'aurais fait le tour de sa taille tant elle était fine
mais comme je m'approchais un peu trop elle se mit à siffler comme
font les hommes en haut du nid-de-pie si bien que je restai planté
derrière mon bar.
Comme
elle ouvrait la bouche, sa voix se mit à couler telle une source
d'eau claire, pourtant elle n'avait demandé qu'une bière mais d'une
façon si charmante ... le charme, c'était ça le piège retors, le
traquenard et j'y étais tombé à la seconde où elle était entrée
ici.
Mary
Morgan, Feu follet, Croquemitaine, je récitai ma carte en
bredouillant, évitant de citer la Korrigane, une Red ale aux saveurs
terreuses et maltées dont le seul nom risquait de la mettre en
colère si ce n'était déjà fait.
Au
nom de Feu follet, ses yeux d'un rouge lumineux s'étaient éclairés
plus encore, aussi lui servis-je en tremblant un grand bock de cette
bière épicée et ambrée comme sa peau.
Elle
vola jusqu'au le bar pour se poser sur un de mes grands tabourets,
découvrant deux ravissants pieds de bouc que je lorgnais dans le
miroir située derrière elle.
Par
quel sortilège pouvait-elle à la fois être si petite et si bien
proportionnée ?
J'aurais
lutiné ses petits seins sur le champ tandis qu'elle décorait sa
bouche d'une épaisse mousse blanche qu'on eut dit la mère Noël ...
Elle
devait savoir lire dans mes pensées lubriques car ma jolie korrigane
se mit à se trémousser langoureusement tout en descendant sa bière
à grandes gorgées bruyantes.
J'avais
si chaud que je m'en servis une mais elle me la subtilisa avant que
j'aie pu y tremper mes lèvres.
Ses
doigts aux ongles noirs et crochus s'accordaient si bien avec ses
petits pieds de bouc que je n'y pris pas garde.
Ses
yeux rouges avaient viré au sombre et la voix de source claire se
fit plus rauque.
Je
ne parlais pas un mot de breton, pourtant je comprenais sa langue ...
elle était née en 1915 – le même âge que le vieux brick –
commerçait des potions de ronds de sorcière, des élixirs de
jouvence et des philtres d'amour mais vivait avant tout des largesses
des hommes qu'elle envoûtait.
Je
n'en retins pas plus car ayant posé sa menotte aux doigts crochus
sur mes mains tremblantes, je vis le plancher monter vers ma tête à
toute vitesse.
Autour
de moi je reconnus Gwenael et Kilian ainsi que la mère Guézennec
qui m'appliquait des sels sous le nez.
« Tu
r'viens de loin » dit-elle alors que j'ouvrais les yeux tout à
fait.
« Sers-lui
une Korrigan ! Il a les yeux tout rouges» lança Gwenael à
Kilian.
« Y'en
a plus » hurla Kilian, horrifié ... de mémoire on n'avait
jamais manqué de Korrigan un seul jour au village.
oups... il y avait du venin d'abeille dans sa korrigan - chouchen !
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