samedi 9 mai 2020

Micmac en Gaspésie

Publié au Défi du Samedi sur le thème du wigwam



On avait craqué pour l'offre alléchante d'un tour opérateur consacrée au Québec et qui vantait l'une des plus belles baies du monde, la Baie des Chaleurs où l'on pouvait à coup sûr observer les baleines et les pygargues à tête blanche.
Germaine voulait surtout faire de l'apnée avec les saumons et moi je voulais seulement découvrir ce fameux été indien qui avait fait le succès de Joe Dassin en 75.

Pour l'heure nous randonnons sous le soleil depuis deux plombes – moi devant et Germaine vingt mètres derrière avec nos deux sacs à dos – quand j'aperçois une sorte de grand tipi penché mais tout droit sorti de la Chevauchée fantastique.
J'avise un autochtone assis devant l'entrée occupé à fumer une Marlboro, dommage collatéral des pubs télévisées.
« Hugh ! » éructe t-il entre deux signaux de fumée.
O.K. il s'appelle Hugues …
Comme Germaine vient enfin de me rejoindre je nous présente : « Elle, Germaine. Moi, Vegas ».
« Vegas pas bon … pas Micmac » me répond l'autochtone à la suite de quoi je lui demande d'étayer son jugement un peu hâtif puisqu'on ne se connaît pas.
« Las Vegas … Navajos. Nous … Micmacs » dit-il et il ajoute « Pas mélanger Navajos et Micmacs sinon » et d'un coup de pied il écrase sa Marlboro comme on enterrerait un calumet de la paix ; je perçois une pointe d'animosité dans son regard d'aigle.
« Germaine entrer dans wigwam » ordonne t-il en découvrant l'entrée du tipi.

Déjà Germaine feuillette fébrilement le guide de la Baie des Chaleurs à la recherche d'une sortie de secours ou au mieux d'une formule de politesse.
Elle tente de me rassurer en m'apprenant que Micmac signifie Amis ou Frères.
Mais il se trouve qu'on est en Septembre – le mois du rut de l'orignal – et je les sens tous un peu galvanisés là-dedans au spectacle d'une Germaine échevelée portant nos deux sacs.
J'entre à mon tour.
C'est toute une smala qui se présente individuellement – j'ose dire en file indienne – « Hugh ! ». Donc ils s'appellent tous Hugues et ont tous les cheveux longs, comme les femmes.
Ça ne va pas être facile.

« Germaine porter gros sacs. Bon pour pagayage … charger traîneau … travaux des champs » déclare celui qui ressemble au chef du clan car il porte des saumons en pendants d'oreilles.
J'apprendrai plus tard que le saumon est leur emblème ; leur chef doit les fumer avant de se les carrer sur l'oreille car ça renifle grave !
Je m'insurge : « C'est quoi ces micmacs ?» en saisissant Germaine par le bras.
Une vieille femme édentée prend Germaine par l'autre bras, lui fourre deux doigts dans la bouche : »Bonnes dents, Germaine … toi plus Germaine … toi Saumon Agile ».
Germaine est servie, elle qui voulait nager avec eux la voilà saumonée.
On lui offre un « cocktail » de bienvenue, on lui enfile des mocassins qui puent l'orignal comme tout le reste.
Armés de javelots et de frondes les hommes commencent à danser autour d'elle et entonnent un chant surréaliste moitié Micmac moitié Joe Dassin « On ira où tu voudras, Hugh quand tu voudras, Hugh ».
C'est d'un ridicule alors qu'autour de nous des marmots turbulents jouent aux cow-boys !
Le chef aux saumons fumés me tend une paire de bourses en porc-épic, genre cadeaux empoisonnés remplis d'os de caribou et de verroterie sans valeur. Si c'est ça le prix pour Germaine alias Saumon Agile, j'ai pas l'goût comme on dit au Québec.
«Allez Germaine, on salue et on se tire »
Germaine est dans un état second : »Appelle moi Saumon Agile, biquet »

Une femme plus jeune – elle porte sa poitrine au dessus de son ventre – me désigne au chef d'un doigt volontaire : »Vegas Navajo … lui Castor Malingre, maintenant. Chasser castor pour moi ».
Castor Malingre ? Non mais ça va pas ?
Je me rapproche de la sortie mais elle est barrée par un type moustachu qui a l'air et l'accent de Marcel Bèliveau : « Surprise sur prise ! » hurle t-il en s'esclaffant.
Les Micmacs s'esclaffent aussi : « Surprise sur prise, Hugh».
Je crois que je vais m'évanouir.
Je trouve la force de protester : »Moi pas Hugues ni Castor Malingre … moi Vegas … Vegas sur sarthe »


A l'hôpital Hugues Capet tout le monde est gentil avec moi et les infirmières m'ont même offert une toque de trappeur en souvenir.
Ah ils sont forts les types de ce tour opérateur !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire