samedi 13 février 2010

J'aime pas les nuits noires


Quand il fait sombre et qu'une main inconnue serre la vôtre un peu trop longtemps, il est temps d'annoncer la couleur aux DéfisDuSamedi...


 

Je me disais bien qu'à force de se pencher sur l'horizon la nuit finirait par tomber... et elle tomba, brutalement, dans un silence assourdissant. Non pas une nuit câline, nuit d'amour comme chantaient mes vieux mais plutôt une nuit d'encre de Chine qui vous poisse les yeux et les doigts comme au cours de dessin de monsieur Mangin.
J'aurais dû comprendre qu'on était entrés dans le tunnel, moi et mon engin si j'avais eu le temps de déchiffrer le panneau Bout du tunnel: 300 mètres, mais j'étais bien trop occupé à maîtriser le bolide, une trottinette BMX flambant neuve que j'avais trouvée au paravent ou plutôt au pied du sapin de Noël et que je venais tout juste de dompter après moultes ruades intempestives et quelques cabrioles sanglantes.
J'étais pourtant debout sur le frein et l'impression qu'on allait bientôt atterrir me confirma que le tunnel était en pente et que le bout du tunnel était bien plus bas que le haut... enfin les trottineurs me comprendront.
Je maudissais mes vieux d'avoir fait l'économie d'un frein à tambour et d'un éclairage quand j'abordai sèchement, la semelle collée au bitume, ce qui ressemblait bigrement à un virage; je dis cela à cause des gerbes d'étincelles jaillies sur mon aile gauche et de cette sensation d'avoir le cul plus haut que les oreilles!
C'est à cet instant que je l'ai senti sur ma main droite, cet étau glacial qui me clouait fermement au guidon et nous faisait zigzaguer de tous côtés. Horrifié je sentais dans mon cou le souffle rauque et baveux du monstre qui allait soudain m'engloutir dans les ténèbres et qui enfonçait ses griffes acérées en ricanant.
A quoi bon lutter contre cette poigne brutale et soudaine qui menaçait un équilibre déjà trop précaire?
J'allais m'abandonner à mon triste sort quand je reconnus ce ricanement... je l'aurais reconnu entre mille: c'était celui du grand Mangin, le fils du prof de dessin mais surtout l'amoureux de Juliette à qui j'avais volé un baiser le matin même à la récré.
"Tu vas le regretter" hurla t'il en arrachant le guidon de la trottinette, et comme je tombais avec lui en croquant au hasard un morceau d'oreille à ma portée, il y eut comme un éclair fulgurant suivi d'un grand trou noir.

J'avais dans la bouche quelque chose d'humide et sucré, plus proche d'une esgourde ennemie que d'un baiser volé et je comptai dans le noir mes abattis avant de me relever; à part un genou couronné et une trottinette bonne pour la ferraille, je m'en sortais pas mal. J'en serais quitte pour un bon savon et une compresse "qui pique", moi qui ne goûtais ni l'un ni l'autre. Mon rival semblait avoir disparu autant que je pus en juger car la nuit de Chine était plus noire que l'intérieur du tunnel.
Je crus pourtant percevoir un grognement d'ours mal léché derrière moi, ce qui eut pour effet de me redonner des ailes et, devinant au loin les lumières des premières maisons, je mis le cap clopin-clopant vers un monde plus civilisé...
Demain, Juliette saurait tout et elle devrait choisir !
 

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