publié aux Impromptus Littéraires d'après l'image ci-dessous
Quand
je pense à ma chère tour pointue, celle qui encore
aujourd'hui garde l'angle nord de la propriété familiale et toute ma
gratitude, je ne peux m'empêcher d'évoquer les merveilleuses vacances
qu'elle nous procura.
De loin, sa couverture de tuiles romaines lui donnait des airs de tour génoise mais nous l'avions
dès le premier instant baptisée château.
Au
souvenir de ses tuiles canal en terre cuite, j'entends encore les
confidences de grand-père
affirmant - l'oeil goguenard - qu'elles avaient été moulées sur la
cuisse des femmes et je revis à l'instant où je l'écris ce trouble qui
empourprait nos trognes juvéniles.
Au sommet du château, la pointe vernissée d'un beau vert 'poireau' devait se voir depuis le village
car c'est ainsi que les gosses nous avaient baptisés... les poireaux.
De part et d'autre de notre tour, la courtine faite de murets bas nous protégeait à la fois des
mulots, des gorgones et autres monstres malfaisants tout en permettant le guet sur les collines avoisinantes.
Le guet était revenu de plein droit à petit Pierre ce qui me laissait tout loisir de courtiser
Bérangère dont le prénom usuel Elvire m'agaçait au plus haut point.
Notre tante affirmait que Bérangère avait poussé trop vite, ce que je démens formellement puisque
mon regard arrivait juste à hauteur de sa poitrine naissante et c'était bien ainsi.
Revenons au château...
Une fois poussé le lourd battant armé de clous forgés on plongeait dans l'ombre complice de
l'unique pièce qui nous servait selon nos jeux, de salle du trône, de sinistre prison ou de dortoir.
Par
le plus grand des hasards, petit Pierre goûtait surtout la prison
tandis que Bérangère et Moi
profitions des fastes de la salle du trône et du dortoir au rythme
des nombreuses cérémonies de couronnement et des non moins nombreuses
siestes que l'on disait sages.
C'est
là qu'aux plus chaudes heures de l'été, dans la musique entêtante des
cigales nous nous
'apprenions' du bout des doigts jusqu'à ce que notre guetteur -
juché sur son muret et en proie à quelque mirage de chaleur - pousse son
cri d'alarme d'une puissante voix de
fausset.
J'entends encore ses "Ennemis en vue!!" qui nous faisaient
tressaillir et nous ramenaient à nos dures responsabilités seigneuriales.
Le
seul fenestron percé dans le mur servait de meurtrière, indispensable
pour repousser l'ennemi et
nous y avons jeté tant de moellons, cailloux, fers à cheval et
autres projectiles que chaque été le jardinier du domaine rendait son
tablier pour prendre ses jambes à son
cou.
Et encore, on voue ici un tel culte à l'huile d'olive qu'il ne nous était jamais venu à l'idée de
la faire bouillir!
Etendus
à plat dos sur le sol frais, notre regard embrassait l'enchevêtrement
en fausse-voûte du
plafond charpenté où poutraison, voliges et liteaux offraient le
gîte à une horrible colonie d'araignées pholcidae dont les toiles
étaient autant de draperies diaphanes.
Bien
avant l'invention de l'air conditionné, l'architecte des lieux avait eu
l'idée d'installer un
puits provençal dont la canalisation souterraine nous apportait une
fraîcheur toute relative et plus surement de petits crapauds que je
combattais vaillamment sous le regard reconnaissant de ma
reine.
Comme
par magie, à l'heure où le clocher de la vallée sonnait vêpres, les
rayons du soleil
traversaient le fenestron pour éclairer un trou de boulin sur le mur
opposé. C'était Notre niche où Bérangère et Moi entassions chaque année
nombre de trésors et de prises de guerre plus précieux
les uns que les autres : gratte-cul, appeaux, sachets de lavande et
tabac à chiquer.
Petit Pierre ayant interdiction d'y mettre le nez ou même d'y jeter le moindre regard, il connut la
prison plus souvent qu'à son tour!
Sommairement saucissonné au moyen d'une pelote de laine chapardée à mamie, il était mis aux fers ou
plus simplement couché sur l'étroite et rugueuse paillasse tandis que ma reine et Moi batifolions aux jardins.
Ce
qu'on appelait les jardins se limitait à de maigres carrés cernés de
pierres plates où
vivotaient thym, lavande et basilic mais ils embaumaient tant qu'on
s'y rendait les yeux fermés sans s'y être jamais couronné les genoux.
Après
tant d'années notre trésor a été dilapidé, petit Pierre a grandi et
sillonne les mers tandis
que Bérangère redevenue Elvire règne sur cinq marmots au fin fond du
Montana, loin très loin du trône où Moi roi des poireaux, je déposais à
ses pieds poèmes enflammés et cerises
confites.
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