lundi 27 août 2012

Coquilles

 
Si les Impromptus Littéraires me demandaient ce qu'évoque pour moi le mot Correction, j'avouerais ceci

Images-MaitresseBelle

Je n'aimais rien tant que ce moment béni quand - ayant distribué nos copies - elle se penchait sur chacun d'entre nous pour commenter nos oeuvres et corriger nos fautes.
Sans me vanter j'ai toujours cartonné en orthographe et n'ai jamais essuyé la moindre remontrance mais combien de fois ai-je sciemment cousu des coquilles à ma prose rien que pour sentir au dessus de ma tête son inimitable parfum et cette profonde et rassurante respiration alors que j'étais depuis longtemps en apnée.
Le coeur au bord des lèvres je plongeais alors tel un mécréant mon regard dans le sillon enivrant de cette gorge innocemment offerte à mes seuls yeux et qui semblait ne palpiter que pour moi.
Par crainte d'éveiller les soupçons, je me contentais d'un désaccord de participe ou d'une ponctuation hasardeuse qui m'accorderait quelques instants d'exploration supplémentaire.  
Je ne saurais dire ce qui dans ce creux si sombre, si vertigineux ou cette blancheur laiteuse me procurait le plus de plaisir car dans la nature comme dans l'écriture, les pleins et les déliés, les vallons et les monts ne sauraient exister l'un sans l'autre.
J'appris plus tard - c'est à dire à l'âge où les culottes rallongent et où l'acné décore les fronts juvéniles - qu'on donne une note aux poitrines des femmes.
Résolument fâché avec les mathématiques je fus profondément déçu qu'on attribue un chiffre là où le regard - parfois les mains pour être certain - suffisent amplement à l'appréciation de tout homme normalement constitué.
A celle qui me nota de façon si charmante je donne à mon tour un quatre vingt quinze C... et je pèse mes mots.
Elle portait de fines lunettes sans doute par pure coquetterie car un tel regard ne pouvait avoir besoin de correction, du moins le croyais-je à l'âge où les mots myopie et presbytie n'étaient pour moi que prétexte à jouer du i grec!
J'appris dans le même temps quelle réputation on donne aux femmes à lunettes mais ayant déclamé haut et fort cette soi-disant vérité lors d'une réunion de famille, la correction qui s'ensuivit m'ôta pour longtemps toute envie d'en savoir plus.

Comme je regrette aujourd'hui de n'avoir gardé aucune de ces copies où elle posa son regard et où je saurais deviner plus de soixante ans après la trace d'un doigt parfumé sur une sournoise cokille coquille...
  
    

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