Il est
arrivé comme ça, sans crier gare, un matin de coton tout silencieux tant la neige était tombée dans la nuit.
Sa
silhouette sombre et trapue lui donnait
l'air d'un ours descendu de l'alpage, mais les traces qu'il laissait
derrière lui étaient toutes autres... des empreintes régulières
finement dessinées, un peu comme ces mots qui bercent et qui
rassurent quand les grand-mères racontent leurs histoires à la
veillée.
A
chacun de ses pas l'immense cape jetée sur
ses épaules puissantes claquait comme une voile au vent impétueux de
l'hiver; elle avait servi plus que son compte et de grands lambeaux
arrachés par les bourrasques marquaient le sol tels des
couleuvres sournoises qui se seraient éveillées à son passage.
Personne
ne distinguait son visage mais à
son allure débonnaire, on pouvait imaginer un gentilhomme d'autant
qu'un haut de forme tout aussi noir que le reste coiffait sa longue
chevelure poivre et sel et lui donnait une certaine
noblesse.
Il
venait forcément de là-haut mais nul ne
savait où il allait, ni même s'il ferait halte au hameau, auquel cas
les marmots sauraient bien percer le mystère de cette apparition.
Une grosse bosse dans son dos trahissait un
baluchon ou un sac qu'on imaginait rempli d'objets magiques ou d'amulettes rapportées de quelque contrée lointaine.
Point
de canne ni de bâton pour marcher et
pourtant sa grande carcasse aurait dû peiner à se mouvoir dans
l'épaisse couche de poudreuse qu'aucun courageux ne s'était risqué à
déblayer entre les maisons.
Les
plus attentifs pouvaient distinguer une étrange musique, mélange de
flonflons de kermesse et d'incantations vaudous qui planait
dans l'air, comme si la créature s'encourageait de la voix dans son
cheminement.
Un
moment, il s'arrêta et tournant imperceptiblement la tête, il émit un
sifflement si aigu et si étrange que les gosses en perdirent leurs
sabots ! Aussitôt, une tache
flamboyante, bondissant comme un cabri de l'année, arriva d'on ne
sait où dans un nuage de poudreuse en jappant joyeusement: c'était un
drôle de chien rouge, sans queue et si haut sur pattes
qu'il ne lui manquait qu'une paire de cornes pour ressembler à un
bouc... certains gamins avancèrent que c'était un bouc qui avait perdu
ses cornes dans un terrible combat.
Il
portait lui aussi un sac ou plutôt une sorte de hotte sur l'échine, ce
qui
ne l'empêchait nullement de courir à une vitesse folle en décrivant
des cercles autour de son maître; d'un coup de sifflet bref, il le calma
et reprit sa marche, précédé de son drôle de
bouc.
Ce
n'est que lorsqu'il eut traversé le champ de neige et ne fut plus qu'un
point noir sur l'horizon laiteux, qu'un murmure monta du
petit groupe des curieux... alors qu'il ne neigeait plus, toute
trace de son passage avait disparu ! On eut beau sonder la neige sur le
chemin qu'il avait emprunté, renifler les cristaux gelés
par le vent, racler le sol jusqu'à la terre, rien ne témoignait du
passage d'une créature humaine à cet endroit.
Déjà,
le spectre de l'homme en noir planant
au dessus du sol hantait les esprits des gamins médusés; nul doute
que le bouc et son esprit malin avaient fait disparaître les traces !
Comme
pour ajouter à l'inquiétude
grandissante, un vol de bernaches passa au dessus du groupe à grands
cris et il passa si bas que les gamins sentirent leurs ailes frôler
leur tignasse... et ça, un vol de bernaches à Noël, ce
n'était pas ordinaire.
On
alla donc chercher l'aïeul, celui qui
semblait avoir tout vécu et tout vu depuis l'origine du monde, et on
l'interrogea sur l'homme en noir et ce chien qui ressemblait à un bouc
sans cornes...
Il
resta un moment silencieux avant de
déclarer solennellement que cet homme ne pouvait être que le Comte
De Nohell, et qu'il passait au hasard des villages à la veille de Noël.
"Un comte de Nohell" répétèrent les marmots
avant de rentrer daredare chez eux en lorgnant par dessus leur épaule, pas franchement rassurés par cette révélation.
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