samedi 6 avril 2013

La valise-mystère

  Publié aux Défis Du Samedi
 




Depuis que sa polonaise -Anastazia pour ceux qui m'ont suivi - avait pris la tangente avec l'horloge comtoise et le magot qu'elle contenait, l'oncle Hubert était devenu taciturne, renfermé. Il boudait même le bortsch qu'on avait réussi tant bien que mal à cuisiner en croyant lui faire plaisir.
Aussi chaque fois qu'on lui demandait de nous raconter comment il l'avait ramenée de Poméranie (Anastazia, pas la recette du bortsch), il évacuait le sujet en prétextant une soudaine et inexplicable fatigue pour un solide gaillard rompu aux siestes hebdomadaires.
 
Lorsqu'un soir il redescendit du grenier avec cette grande valise poussiéreuse - celle qu'on avait interdiction d'ouvrir - on en tomba tous sur le cul.
A voir son maigre sourire nostalgique, on comprit que sa pauvre tête malade venait de s'envoler vers les Hautes Tatras.
Derrière le couvercle ouvert faisant office de rideau de théâtre apparut un premier trésor...
"Voici l'économe original conçu à Thiers par Victor Pouzet en 1929” déclama-t-il en brandissant un épluche-légumes sans grand intérêt.
 
Ayant facilement caché notre joie, l'ustensile laissa place à ce qui semblait être une boîte de dominos.
“Sachez les mioches que ce jeu de “fichas” est un Double Neuf, celui qui nous fit gagner mes potes Los Veteranos et moi-même à La Havane en 1960!”
Les mioches eurent droit à un récit de Cuba des plus colorés d'où oncle Hubert au cul cousu de pesos dû s'enfuir précipitamment sous peine d'être émasculé par quelque bouillante jinetera prénommée Alejandro!
 
Puis arriva une victoire de Samothrace sous son globe transparent où il neigeait quand on le secouait et si l'objet était banal il eut le mérite de faire retomber la température.
 
Le trésor suivant - ceux qui m'ont suivi le reconnaitront - était cette fameuse amulette que l'oncle prétendait tenir du petit fils du grand-père de l'arrière grand-père d'un soldat inconnu qui l'avait arraché en 1683 sous les murs de Vienne au grand vizir Kara Mustapha en personne, juste avant sa décapitation par le sultan Mehmed IV... ou Mehmed V.
Nous connaissions l'histoire par coeur mis à part le numéro de dossard du Mehmed qui restera à jamais un mystère.
 
Comme la peau de python tannée à la graisse de phoque et la guirlande de “piment des squelettes” n'obtenaient que bâillements, soupirs d'ennui et hauts-le-coeur, l'oncle nous réveilla d'un scoop:
“Et voici la fameuse naire de Pike ayant appartenu au pape Karol!”. On avait bien compris qu'il voulait dire paire de Nike vu que rien ne ressemble plus à une paire de Nike qu'une paire de Nike! Il s'était senti obligé de l'appeler par son prénom du jour où sa polonaise lui avait mis la tête à l'envers comme encore aujourd'hui. On se fendit d'un silence religieux qui nous sembla tout à fait de circonstance...
 
Les Nike - bien que pointure 37 - repartirent en grande pompe dans la valise-mystère pour laisser place à un catalogue de gargouilles de la maison Viollet Leduc dont l'intérêt ne semblait pas évident.
L'oncle avait-il eu l'intention de transformer notre maison de vacances en forteresse moyenâgeuse ou en cathédrale? Comme une carte en tombait, ma question resta en suspens.
C'était une carte de voeux faite d'angelots enluminés et joufflus à force de souffler dans de maigres trompettes non moins enluminées.
 “On ne touche pas!” hurla oncle Hubert en ramassant délicatement la relique... “Sachez que cette carte écrite de la main de la grande Catherine de Russie parvint en secret au petit fils du grand-père de l'arrière grand-père de...”
La carte ayant chu une fois de plus, nous ignorons encore aujourd'hui qui fut l'heureux destinataire et s'il reçut d'autres faveurs que cette carte. Tout juste ai-je eu le temps de lire cette mention “Imprimé par best-wishes.com” que je me gardai bien de signaler à notre oncle.
 
Nos larges bâillements n'ayant rien à envier à celui de la valise-mystère, il fut décidé de remettre à plus tard l'exploration d'un double fond que l'oncle venait de nous révéler en grand secret et chacun partit se coucher en rêvant d'exotisme et de vrais trésors de pirates.
 
Nous ne revîmes jamais la valise-mystère.  


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