Depuis que sa polonaise -Anastazia pour ceux qui m'ont suivi - avait pris la tangente avec l'horloge comtoise et le magot qu'elle contenait, l'oncle Hubert était devenu taciturne, renfermé. Il boudait même le bortsch qu'on avait réussi tant bien que mal à cuisiner en croyant lui faire plaisir.
Aussi
chaque fois qu'on lui demandait de
nous raconter comment il l'avait ramenée de Poméranie (Anastazia,
pas la recette du bortsch), il évacuait le sujet en prétextant une
soudaine et inexplicable fatigue pour un solide gaillard rompu
aux siestes hebdomadaires.
Lorsqu'un soir il redescendit du grenier
avec cette grande valise poussiéreuse - celle qu'on avait interdiction d'ouvrir - on en tomba tous sur le cul.
A voir son maigre sourire nostalgique, on
comprit que sa pauvre tête malade venait de s'envoler vers les Hautes Tatras.
Derrière le couvercle ouvert faisant office
de rideau de théâtre apparut un premier trésor...
"Voici l'économe original conçu à Thiers
par Victor Pouzet en 1929” déclama-t-il en brandissant un épluche-légumes sans grand intérêt.
Ayant facilement caché notre joie,
l'ustensile laissa place à ce qui semblait être une boîte de dominos.
“Sachez les mioches que ce jeu de
“fichas” est un Double Neuf, celui qui nous fit gagner mes potes Los Veteranos et moi-même à La Havane en 1960!”
Les
mioches eurent droit à un récit de Cuba
des plus colorés d'où oncle Hubert au cul cousu de pesos dû s'enfuir
précipitamment sous peine d'être émasculé par quelque bouillante
jinetera prénommée Alejandro!
Puis
arriva une victoire de Samothrace sous son globe transparent où
il neigeait quand on le secouait et si l'objet était banal il eut le mérite de faire retomber la température.
Le
trésor suivant - ceux qui m'ont suivi le reconnaitront - était cette
fameuse amulette que l'oncle prétendait tenir du petit fils du
grand-père de l'arrière grand-père d'un soldat inconnu qui
l'avait arraché en 1683 sous les murs de Vienne au grand vizir Kara
Mustapha en personne, juste avant sa décapitation par le sultan Mehmed
IV... ou Mehmed V.
Nous
connaissions l'histoire par coeur mis à part le numéro de dossard du Mehmed qui restera à jamais un mystère.
“Et voici la fameuse
naire de Pike ayant appartenu au pape Karol!”. On avait bien compris qu'il
voulait dire paire de Nike vu que rien ne ressemble plus à
une paire de Nike qu'une paire de Nike! Il s'était senti obligé de
l'appeler par son prénom du jour où sa polonaise lui avait
mis la tête à l'envers comme encore aujourd'hui. On se fendit d'un
silence religieux qui nous sembla tout à fait de circonstance...
Les
Nike - bien que pointure 37 - repartirent en grande pompe dans la
valise-mystère pour laisser place à un catalogue de gargouilles de la
maison Viollet Leduc dont l'intérêt ne semblait pas
évident.
L'oncle avait-il eu l'intention de transformer notre maison de vacances en forteresse moyenâgeuse ou
en cathédrale? Comme une carte en tombait, ma question resta en suspens.
C'était une carte de voeux faite d'angelots enluminés et joufflus à force de souffler dans de maigres trompettes non moins
enluminées.
“On ne touche pas!” hurla oncle Hubert en ramassant délicatement la relique... “Sachez
que cette carte écrite de la main de la grande Catherine de Russie
parvint en secret au petit fils du grand-père de l'arrière grand-père
de...”
La
carte ayant chu une fois de plus, nous ignorons encore aujourd'hui
qui fut l'heureux destinataire et s'il reçut d'autres faveurs que cette
carte. Tout juste ai-je eu le temps de lire cette
mention “Imprimé par best-wishes.com” que je me gardai bien de signaler à notre oncle.
Nous
ne revîmes jamais la valise-mystère.
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