Publié aux Impromptus Littéraires sur le thème d'Orly chanté par Brel :
« Ils sont plus de deux mille et je ne vois qu’eux deux… »
La Hardonnière: Bâtiment 3: îlot 2B
J'aurai pu crier mais, à quoi bon crier quand on est huit mille à crier?
C'est finalement comme si personne ne criait, un simple bruit de fond auquel on s'habitue, jour après jour.
Et puis qu'aurais-je crié “Non, pas elle! Il est trop
tôt”.
Se doutait-t-elle que chez nous “Aux bios de Loué” on sacrifiait sans état
d'âme de telles blancheurs, des cuisses si fermes, si galbées, de si jolis pieds d'un jaune paille d'or?
Son
éclatant diadème vermeil sur une robe aux brillantes rémiges et son
port de tête lui donnaient des airs de reine et nous autres n'étions
que ses vassaux, surtout ces blancs-becs qui se pavanent devant elle en
caquetant leur sempiternel “T'as d'bios oeufs tu
sais” !
Comment
ai-je pu être autant aveugle pendant ces quatre vingt quatre jours
où on a vécu les mêmes émotions, partagé le même blé de terroir sans
OGM, piétiné le même bocage d'arbres et de haies vives, respiré le même
air sarthois?
Pourquoi comme tant d'autres s'était-elle mise à chanter, clamant
innocemment sa maturité sexuelle à ses bourreaux et scellant par là-même son destin?
J'aurais
pu me battre bec et ergots pour elle, mais à quoi bon se battre
quand on est huit mille à se battre pour échapper aux traques du
soir qui mènent au train de nuit. Ils disent que la nuit, il y a moins
de stress... pour qui?
J'aurais
pu me sacrifier à sa place, mais je n'en ai pas le droit. Je fais
partie des intouchables, pas de ces nommés aux Golden Globes ou aux
Oscars mais de ceux qu'on a élus malgré eux parce qu'un Coffe les aura
dorlottés devant une caméra ou encensés dans quelque
commice agricole.
J'aurais
pu écrire au ministre (dans la région tout le monde dit Stéphane)
- de ma plus belle plume dirais-je si j'avais le coeur à ironiser -
mais il est bien trop occupé en haut lieu et se soucie peu du sort d'une
gallus gallus domesticus fut-elle une Géline Label
Bio!
J'aurais pu invoquer la démarche citoyenne, obtenir un contrat d'adoption
pour ma reine et lui offrir un sursis de deux ans dans une famille adoptante et aimante.
Mais la vie est ainsi faite - et la mort avec - et tandis que des portes
battent, j'adresse à ma reine un dernier regard auquel elle a semblé répondre...
Ce dernier regard, je le prends, je l'emporte... seul le
sot-l'y-laissera
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