Publié aux Impromptus Littéraires sur le thème : Changement
J'ai cru qu'il me suffirait d'abandonner ma casquette “L'esprit grand
ouvert” du Conseil Régional des Pays de Loire contre un vieux Stetson racorni pour devenir un vrai cow-boy.
Question biftons - les liasses de billets verts débordaient de mes poches - je gagnais au change, en plus la devise
de leur drapeau disait: “Ditat Deus” (Dieu enrichit), alors j'ai voulu y croire. Arizona, à nous deux!
A Seligman, on attend d'abord le touriste - de pied ferme - au bord de la mythique Route 66 mais moi je ne viens pas
en touriste... plutôt en conquérant, en candidat au changement.
Passée la porte de Roadkill Café, la serveuse a tôt fait de me vendre son “Buffalo” burger grillé au
barbecue avec cette “90 schillings”, une bière ambrée qui vous descend tout droit dans les santiags au son d'un jukebox rescapé des sixties.
Cette fois le changement c'est maintenant... bizarre... ça sonne faux, ici ça serait plutôt Yes you can!
Alors je cane... ou plutôt j'étouffe devant une démentielle part de tarte aux myrtilles.
Finalement c'est elle qui gagne (la tarte) because le café va fermer et je jette l'éponge.
Et mon changement?
Heureusement de l'autre côté du ruban bitumé de la 66, le Lilo's Westside Café m'envoie des signaux clignotants de
néons roses. L'appel est trop fort.
L'irish coffee est à la carte mais pas dans les compétences de la serveuse, alors changement ou pas j'embraye sur une
classique Margarita.
Ca parle beaucoup français autour de moi, beaucoup trop pour une immersion totale.
Vous venez d'où? Le Mans? Ah! Steve McQueen! Euh... c'est ça le changement?
Direction le motel - Historic Route 66 motel - incontournable, 'unmissable' et abordable.
Pour 70 dollars et l'estomac gonflé par ce big burger et l'énorme part de tarte aux myrtilles c'est un tout autre
homme qui s'apprête à passer une première nuit de rêve dans cette chambre au décor années 60.
J'ai du mal à me reconnaître dans la glace... demain je réaliserai que la glace est un poster.
La chambre est au nom d'un certain Gallagher - c'est écrit sur la porte - et j'espère que c'est juste pour les
touristes et que le gars ne va pas rentrer se coucher en pleine nuit: j'aime le changement mais quand même...
Nuit de rêve: c'est sans compter sur les trains de nuit, ces trains que j'ai aperçus la veille, une centaine de
wagons tractés par quatre énormes locomotives et qui mettent quinze minutes à traverser la bourgade.
Nostalgie des trains à grande vitesse? Le jetlag me laissera toute la nuit pour y penser.
Au
matin, retour à Roadkill café pour le petit déjeuner: la demi-portion
de pancakes doit faire un kilo soit deux
gros pounds que j'inonde de sirop d'érable histoire d'oublier les
trains de nuit qui résonnent dans ma tête et cette insipide chose qu'ils
osent appeller café.
Nostalgie d'un vrai petit noir? Faut que j'arrête de penser à tout ça.
Je suis venu pour le changement.
Parait qu'à quatre heures d'ici il y a des Monuments à visiter dans une vallée.
Je fonce, même si j'ai encore du mal avec leurs miles qui défilent (je croyais qu'on disait les miles dévissent) et
leurs gallons d'essence qui s'évaporent.
Au bout de deux heures (heureux qu'ici aussi les heures valent soixante minutes) la pluie s'abat sur ma décapotable
qui refuse de recapoter.
Grosse pluie bien sûr! Ici tout est gros et grand - les pancakes, les burgers et le flash flood - annoncé à grand
renfort de panneaux - et qui déporte les téméraires dans un torrent d'eau boueuse et de branchages descendus de la montagne.
Jusqu'à aujourd'hui pour moi un flash flood c'était un MacDo!
Je ne verrai pas les monuments - en fait d'étranges montagnes sculptées et noyées dans une brume épaisse - trop
occupé à diriger ma baignoire décapotable sur cette rivière impétueuse.
L'ai-je bien descendu, ce maudit flash flood que les locaux hésitent à franchir?
Ce jour-là j'ai dû être le seul frenchie que la police d'Arizona arraisonna.
Le jeu de mot ne les a pas fait rire du tout, peut-être à cause de la Winchester posée sur le siège passager...
enfin, une réplique en plastic du calibre 44/40 à canon scié de Steve MacQueen dans Au nom de la loi.
Le changement c'est vraiment maintenant... je suis bien traité à la prison d'Etat de Tucson.
Et puis tout près de là on a tourné Règlement de compte à O.K. Corral en 56 avec Kirk Douglas et Burt
Lancaster.
Ici on m'appelle Josh Randall... ça me change du bureau.
J'ai reçu une carte postale de Maryvonne, la secrétaire du patron... elle me souhaite beau temps.
Elle changera jamais celle-là!