lundi 11 juin 2018

Poule ou poulet


Sur le thème des Impromptus Littéraires : J'ai changé de sexe

Après avoir monologué sur un banc public vous vous êtes assoupi(e) mais en vous réveillant, tout porte à croire que vous avez changé de sexe.




Vous est-il déjà arrivé en vous réveillant de sentir que quelque chose ne tournait pas rond ?

Depuis ce banc public j'ai appelé Bébert pour qu'il me rassure; Bébert c'est mon meilleur pote depuis la communale, celui avec qui je jouais à qui pisserait le plus haut et que je battais toujours.
"Là où y'a des oestrogènes y'a pas d'plaisir, ma poule" m'a t-il dit d'un air grave.
Ma poule ! Pour la première fois en quarante ans il venait de m'appeler sa poule puis il m'a claqué trois bises sonores avant de raccrocher.
Lâcheur !
J'ai failli relever mon pull ovaire – pardon, mon pull over – car je sentais déjà pousser mes seins et puis je me suis dit à quoi bon... ils poussaient pour sûr, au milieu de mes poils mais ils poussaient ! Il n'y avait jamais eu que des gros nénés dans ma famille depuis l'arrière grand-tante Anastazia.
Je tournais autour des filles depuis des décennies, parfois j'en saisissais une avant qu'elle ne s'échappe et voilà qu'aujourd'hui j'allais vivre "ça" à l'envers; j'allais devoir "jouer" avec des garçons. Pouah.

Mon cycle menstruel avait toujours été calé sur les matches de la Ligue 1 de football et mes bouffées de chaleur venaient au rythme des relégations de Lens ou Lorient mais là, il me fallait apprivoiser la progestérone.
Comment prononcer ce mot bizarre alors que testostérone c'est tellement plus... comment dire, plus viril, plus sexe; d'ailleurs si ça commence comme testicule c'est qu'il y a une bonne raison, non ?
Tant que je songeais à ma poussée mammaire, j'évitais de m'intéresser au désert de mon entrejambe et ça valait mieux.
C'était assez dur comme ça de prendre conscience que j'allais tout à la fois devenir imberbe et de mauvais poil.
Le moral en dents de scie – j'étais alors dans le creux de la dent – j'appelai Kevina la meilleure amie de Germaine dans l'espoir qu'elle me rassure.

Dès ses premiers mots je l'ai haïe, et dire que je fantasmais sur elle à chaque fois qu'elle venait chez nous pour la réunion mensuelle lingerie-cosmétiques-sextoys de Germaine.
La main en exploration sous mon pull over, j'ai laissé Kevina parler de ses envies de Louboutin, de ses élastiques dans le métro et des mains aux fesses pour les cheveux ou bien le contraire.
Déjà je ne l'écoutais plus et au seul mot de ménopause j'ai raccroché; elle aurait au moins pu avoir la décence de dire andropause.
C'est vrai, j'avais l'âge pour ça mais ma libido était intacte et mes rêves de prince charmant toujours...
Qu'est-ce que je venais de dire, là ? Un prince charmant ?
Je jurai sur le champ de me faire lesbienne, et puis Germaine n'y verrait pas d'inconvénient, trop heureuse d'avoir à raconter de l'inédit à sa Kevina.
Sur ce banc public je devais avoir l'air de Madame Doubtfire plus que de Laverne Cox.

"Ca va pas ?" s'inquiéta la créature posée contre ma hanche, une rouquine callipyge défraîchie qui me donna l'impression d'être là depuis une semaine.
"J'ai changé de sexe" lui répondis-je bêtement.
Elle haussa les épaules : "Moi aussi. C'est le seul banc parisien qui fait ça"
J'étais stupéfait : "Et vous y revenez quand même ?"
Elle posa une main experte sur ma cuisse : "Chaque fois que j'en ai envie, mon poulet"
La poule ou le poulet que j'étais avait sans le vouloir choisi le seul banc changeur de sexe de la capitale; la fille m'apprit qu'il suffisait de caresser au choix l'un des deux accotoirs.
A côté de nous, deux pigeons idiots se bidonnaient.
Finalement le côté réversible du miracle ne me déplaisait pas; j'allais pouvoir être tour à tour aguicheuse, capricieuse, jalouse, pot-de-colle, femme-enfant ou tout simplement folle ou bien moi-même.
La main de ma voisine caressait toujours sur ma cuisse et moi l'accoudoir du banc: je décidai de me refaire un plein de testostérone... je rappellerais Bébert plus tard.

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