Sur le thème des Impromptus Littéraires : J'ai changé de sexe
Après
avoir monologué sur un banc public vous vous êtes assoupi(e) mais
en vous réveillant, tout porte à croire que vous avez changé de
sexe.
Vous
est-il déjà arrivé en vous réveillant de sentir que quelque chose
ne tournait pas rond ?
Depuis
ce banc public j'ai appelé Bébert pour qu'il me rassure; Bébert
c'est mon meilleur pote depuis la communale, celui avec qui je jouais
à qui pisserait le plus haut et que je battais toujours.
"Là
où y'a des oestrogènes y'a pas d'plaisir, ma poule" m'a t-il
dit d'un air grave.
Ma
poule ! Pour la première fois en quarante ans il venait de m'appeler
sa poule puis il m'a claqué trois bises sonores avant de raccrocher.
Lâcheur
!
J'ai
failli relever mon pull ovaire – pardon, mon pull over – car je
sentais déjà pousser mes seins et puis je me suis dit à quoi
bon... ils poussaient pour sûr, au milieu de mes poils mais ils
poussaient ! Il n'y avait jamais eu que des gros nénés dans ma
famille depuis l'arrière grand-tante Anastazia.
Je
tournais autour des filles depuis des décennies, parfois j'en
saisissais une avant qu'elle ne s'échappe et voilà qu'aujourd'hui
j'allais vivre "ça" à l'envers; j'allais devoir "jouer"
avec des garçons. Pouah.
Mon
cycle menstruel avait toujours été calé sur les matches de la
Ligue 1 de football et mes bouffées de chaleur venaient au rythme
des relégations de Lens ou Lorient mais là, il me fallait
apprivoiser la progestérone.
Comment
prononcer ce mot bizarre alors que testostérone c'est tellement
plus... comment dire, plus viril, plus sexe; d'ailleurs si ça
commence comme testicule c'est qu'il y a une bonne raison, non ?
Tant
que je songeais à ma poussée mammaire, j'évitais de m'intéresser
au désert de mon entrejambe et ça valait mieux.
C'était
assez dur comme ça de prendre conscience que j'allais tout à la
fois devenir imberbe et de mauvais poil.
Le
moral en dents de scie – j'étais alors dans le creux de la dent –
j'appelai Kevina la meilleure amie de Germaine dans l'espoir qu'elle
me rassure.
Dès
ses premiers mots je l'ai haïe, et dire que je fantasmais sur elle à
chaque fois qu'elle venait chez nous pour la réunion mensuelle
lingerie-cosmétiques-sextoys de Germaine.
La
main en exploration sous mon pull over, j'ai laissé Kevina parler de
ses envies de Louboutin, de ses élastiques dans le métro et des
mains aux fesses pour les cheveux ou bien le contraire.
Déjà
je ne l'écoutais plus et au seul mot de ménopause j'ai raccroché;
elle aurait au moins pu avoir la décence de dire andropause.
C'est
vrai, j'avais l'âge pour ça mais ma libido était intacte et mes
rêves de prince charmant toujours...
Qu'est-ce
que je venais de dire, là ? Un prince charmant ?
Je
jurai sur le champ de me faire lesbienne, et puis Germaine n'y
verrait pas d'inconvénient, trop heureuse d'avoir à raconter de
l'inédit à sa Kevina.
Sur
ce banc public je devais avoir l'air de Madame Doubtfire plus que de
Laverne Cox.
"Ca
va pas ?" s'inquiéta la créature posée contre ma hanche, une
rouquine callipyge défraîchie qui me donna l'impression d'être là
depuis une semaine.
"J'ai
changé de sexe" lui répondis-je bêtement.
Elle
haussa les épaules : "Moi aussi. C'est le seul banc parisien
qui fait ça"
J'étais
stupéfait : "Et vous y revenez quand même ?"
Elle
posa une main experte sur ma cuisse : "Chaque fois que j'en ai
envie, mon poulet"
La
poule ou le poulet que j'étais avait sans le vouloir choisi le seul
banc changeur de sexe de la capitale; la fille m'apprit qu'il
suffisait de caresser au choix l'un des deux accotoirs.
A
côté de nous, deux pigeons idiots se bidonnaient.
Finalement
le côté réversible du miracle ne me déplaisait pas; j'allais
pouvoir être tour à tour aguicheuse, capricieuse, jalouse,
pot-de-colle, femme-enfant ou tout simplement folle ou bien moi-même.
La
main de ma voisine caressait toujours sur ma cuisse et moi
l'accoudoir du banc: je décidai de me refaire un plein de
testostérone... je rappellerais Bébert plus tard.
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