Publié aux Impromptus Littéraires sur le thème : Monologue d'un banc public
"Chaque jour après l' turbin
je retrouve mon meuble urbain"
Mon banc public m'inspire, je m'en inspire et j'y transpire, je m'y sens bien, lui et moi sommes de la même veine, de la même artère – la rue Poulbot – impassibles et imputrescibles.
Ah il n'est pas né le sans-logis qui Nous en délogera. Je dis Nous à cause des bisets.
J'ai entendu dire qu'à Central Park pour 7500 dollars et si on est cinglé on peut adopter un banc ! Foutaises. Ici c'est lui qui m'a adopté et gratis.
A l'ombre des tilleuls propices aux effusions et aux infusions les deux mêmes pigeons se bécotent inlassablement sur un des accotoirs, véritable banc d'essai pour leurs amours indéfectibles... faut vous dire que chez ces "gens-là", Monsieur, on ne trompe pas, Monsieur, on ne trompe pas, on dure.
Je me prends à rêver.On y venait autrefois poser nos culs avec Germaine mais c'était avant de devenir pigeon moi-même ou plutôt dindon de la farce.
Sur ce même accotoir – au risque de me faire embarquer pour dégradation du bien public – j'avais gravé à l'Opinel un superbe 'G' et quand Germaine est partie le 'G' est resté, gravé trop profondément pour être effacé, victime de ma fougue juvénile.
Celle qui vivait de son point G – Germaine ne s'en était jamais cachée – me laissait celui-là dans l'accotoir ou plutôt sur les bras.
Alors j'ai revendu mon Opinel afin d'acheter des graines pour mon couple d'emplumés mais ces "gens-là", Monsieur, ça n'picore pas, Monsieur, ça n'picore pas, c'est mal éduqué, ça bouffe chez MacDo Place Pigalle au milieu des michetonneuses et des touristes !
Et quand ils sont repus, honteux de s'être gavés aux OGM jusqu'au jabot ils reviennent dans mon havre de paix sous les tilleuls pour d'autres becquées...
En mode séduction Germaine n'avait pas son pareil pour roucouler, de doux "Rrrou-crou-couuu" venus d'une gorge abyssale et qui parait-il faisaient sa réputation au delà de la Butte.
Et puis l'automne est arrivé avec ses traîtres frimas; Germaine eut beau rallonger ses mini-jupes et rehausser ses décolletés, elle avait pris une mauvaise toux, comme des roucoulements gutturaux... alors fatalement elle s'est mise en ménage avec l'apothicaire de la Place Blanche, un vieux beau en blouse blanche comme la place et qui sentait l'huile de camphre et la Brillantine.
Je la connais bien, elle a dû se refaire une santé sous la couette ainsi qu'une pharmacie prophylactique d'enfer.
Mon couple d'emplumés et moi on s'est serré les coudes – les humérus pour parler vrai – et on a tenté d'oublier Germaine et ses vocalises. Les seuls qui roucoulent ici désormais c'est Edith et Marcel; je les ai baptisés ainsi, plus pour leur amour intemporel que pour leur envol...
Je sais qu'un jour ils partiront au paradis des bisets, ça ne vit pas plus de sept ans un emplumé citadin et il ne me restera que mon banc, ma plume et mon cahier d'écolier pour rêver.
"Chaque jour après l' turbin
je retrouve mon meuble urbain"
C'est pas mal ça. Je vais le garder pour…
"Vous permettez ?" lance la créature qui vient se poser contre ma hanche, une rouquine callipyge pas piquée des hannetons.
Edith et Marcel sont ravis; vous ne pouvez pas comprendre, il n'y a que moi qui sais qu'un biset est ravi quand il fait "Rrrou-crou-couuu".
pas rancunier de s'être fait pigeonner...
RépondreSupprimerDans l'pigeon, tout est bon
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