Publié aux Impromptus Littéraires sur le thème : "Quel chantier !"
Cent
cinquante cartons pliés venaient d'arriver de chez Casto, salués
par Germaine, pliée également tant elle était surexcitée.
Je
prenais conscience que l'affaire avait commencé.
J'avais
préparé mon cutter – un couteau à lame rétractable qui se
rétracte surtout quand on s'en sert – et suffisamment de scotch,
celui qui colle et aussi celui qui déchire... un Knokando 18 ans
d'âge.
Pour
celui qui colle j'avais choisi du simple face et pour l'autre du
double, le double whisky c'est très tendance.
De
son côté Germaine avait prévenu les voisins pour le bruit, la
concierge pour l'escalier et le Samu pour mes blessures à venir.
Les
trajets de notre sixième étage à la cave seraient comptabilisés
aller et retour par un système de pointage confié à notre
concierge afin de ne perdre personne en route même si nous n'étions
que deux à faire la navette.
Par
précaution je pointais également au verre de Knokando pour joindre
l'agréable à l'utile.
Au
cinquième – le verre, pas l'étage – je croisai ma Germaine
chargée comme une mule, hirsute, le chignon de travers suivie de
près, de très près par un gars qui devait habiter l'immeuble et
qu'elle avait du réquisitionner en chemin... dégourdie ma
Germaine !
Je
leur soufflai un « Bon courage... y'en a plus que deux» car
d'après mes calculs il me restait deux verres ; le type me
lança un clin d'oeil que j'attrapai au passage tandis que je
remontais à l'appart.
Je
m'étais laissé embarquer comme un gamin dans son projet sans
mesurer l'ampleur et la technicité du travail.
Le
dressing était maintenant quasiment vide tout comme la bouteille de
scotch, une synchronisation digne de professionnels.
Je
m'assis un instant dans un fauteuil pour faire le point à tous
niveaux et je dus m'assoupir car si le greffier n'était pas venu me
léchouiller pour réclamer ses croquettes, je crois que je
pioncerais encore.
Germaine
n'était pas remontée de la cave et, craignant qu'elle ait craqué
en chemin je dévalai l'escalier quatre à quatre en soufflant comme
un bœuf.
Une
fatigue communicatrice avait envahi l'immeuble et je dus déplacer la
concierge qui semblait somnoler, l'oreille collée à la porte de
notre cave...
Dans
la pénombre, ça soufflait aussi comme des bœufs ; jamais on
n'aurait dû s'embarquer dans cette entreprise, il y a des gens pour
ça dont c'est le métier et qui ont tellement besoin de clients.
Mais
il était trop tard pour reculer et j'avais la flemme de changer mon
fusil d'épaule.
Je
tournai trois fois ma langue chargée dans ma bouche à feu, retirai
le cran d'arrêt avant de lâcher un « Tout va bien ? »
d'une voix inquiète.
De
la montagne de cartons qui s'agitait encore émergea Germaine, le
chignon aplati comme au sortir de sa douche et les joues cramoisies.
Le
voisin serviable s'éclipsa si vite que je n'eus pas le temps de le
remercier pour son aide.
« Tu
as assez transpiré pour aujourd'hui » ordonnai-je en
conduisant vers l'entresol une Germaine aux guibolles flageolantes.
Fièrement
elle tenta de se redresser : « Non ! Il faut terminer
le chantier »
Regonflé,
je la suivis dans l'escalier ; elle flageolait toujours mais je
trouvais qu'elle flageolait bien, les hanches mouvantes et les doigts
crispés sur la main courante.
« Tiens
bon la hampe » lui conseillai-je. J'aurais pu dire rampe...
en d'autres circonstances mais mon esprit s'embrouillait ; je
crois même l'avoir entendue chantonner, les pouvoirs du double
single malt sont imprévisibles!
Ce
soir, le dressing de Germaine aurait retrouvé ses vêtements d'hiver
et la cave... ses vêtements d'été.
La
valse des saisons m'avait anéanti, comme un peu plus chaque
semestre.
le scotch est apprécié pour tous les usages et en toutes occasions
RépondreSupprimerMême s'il déchire un peu
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