Publié au Défi du samedi sur le thème du sofa, ce merveilleux siège de notre confinement ...
Je
me souviens qu'il est arrivé un vendredi.
J'en
suis sûr parce que le vendredi c'est jour de brandade et on en avait
mangé à la maison.
D'ailleurs
j'ai été malade le lendemain et c'était un samedi.
Pourtant
Germaine n'a pas son pareil pour dessaler la morue mais c'est pas le
sujet du Défi.
Il
a eu du mal à passer par la porte mais dans l'immeuble y a pas
d'autre solution.
On l'a entendu arriver au bruit que faisait la
concierge !
Madame
Dugenou – je l'appelle comme ça parce que je la vois toujours à
genoux dans l'escalier – hurlait qu'elle ne voulait pas le laisser
monter vu qu'on est confinés mais il était assez baraqué pour
avoir le dernier mot.
Et
puis on sentait que les deux malabars masqués qui l'accompagnaient
étaient du métier.
Germaine
était aux anges ; elle a toujours aimé les gros bras ce qui ne
l'a paradoxalement pas empêchée de m'épouser.
Donc
il est entré par la porte, tout rouge après avoir monté les cinq
étages et aussi parce qu'il était naturellement rouge, le rouge
Lipstick comme dit Germaine qui lit Closer …
La
concierge suivait – plutôt rouge tomate et essoufflée d'avoir
gueulé – curieuse de savoir où on allait l'installer.
Pas
facile de leur trouver leur place quand c'est votre premier.
Je
ne sais pas comment vous avez fait pour votre premier ; nous on
avait galéré au fil des ans avec le vaisselier – celui qui gère
la vaisselle – puis avec notre plumard – un King size de chez
Galipette&Co – puis avec le secrétaire – Germaine voulait un
secrétaire particulier – puis avec mon Dyson mais ça j'en ai déjà
parlé.
« C'est
gros pour un canapé » a commenté la concierge.
Germaine
était furieuse et elle est montée dans les tours : « C'est
un sofa, pas un canapé ! ».
J'allais
m'informer de la différence quand Germaine a enchaîné : »Un
canapé c'est deux places et un sofa c'est trois places ! »
Ce
machin avait trois places alors qu'on n'est que deux à s'asseoir
ici.
Ca
sentait l'arnaque. Ce truc rouge Lipstick avait un bras droit pour un
droitier et un bras gauche pour un gaucher mais qui allait occuper la
place du milieu ?
Les
deux malabars masqués se poussaient du coude. Non, ça ne pouvait
pas être eux.
« C'est
Ektorp » a dit Germaine.
J'ai
aussitôt pensé à un roumain ou à un turc alors j'ai bredouillé :
« et il sort d'où ce Ektorp ? »
«Mais
il est là, gros naze» a dit Germaine en montrant le truc – il
faudra que je m'habitue à dire sofa – « on va le mettre
devant la télé »
C'est
chaque fois pareil, quand on reçoit quelqu'un Germaine l'installe
devant la télé comme si c'était le raffinement suprême de
regarder les Feux de l'amour en sirotant un jus de goyave.
Alors
on a poussé mon fauteuil – Germaine dit Voltaire depuis qu'elle
lit Closer – pour faire la place au sofa … ça y est, je l'ai
dit.
Va
falloir que je m'habitue au rouge Lipstick.
La
concierge s'était vite habituée, déjà assise dedans – on dit
dedans ou dessus ? – avant même que les malabars masqués ne
se démasquent pour réclamer un pourboire.
«Il
est confortable votre canapé » a osé la concierge.
Germaine
était furieuse et elle allait remonter dans les tours quand je ne
sais pas ce qui m'a pris, j'ai crié : »Un canapé c'est deux
places et un sofa c'est trois places ! »
Germaine
m'a lancé un regard reconnaissant avant de m'inviter à tester notre
sofa.
Je
dois reconnaître qu'entre Germaine et la concierge, la petite place
qu'elles m'avaient laissée au milieu était assez confortable.
J'ai
refilé dix balles aux malabars masqués et on est restés seuls,
enfin tous les trois à regarder l'écran vide.
Je
ne sais plus quel célèbre inconnu a dit : « On naît, on
achète un canapé et puis on meurt » et cette pensée m'a
tellement fichu le bourdon que je suis allé me coucher direct.