Une
fois jetée à la mer ma
dernière dentelle(*) - c'est ainsi que j'appelais mes cravates - je
trouvai que ma montre était lourde au poignet alors même que je l'avais
supportée pendant des
lustres.
Peut-être avais-je peur de la bousculer par quelque tâche ménagère
ou de bricolage à laquelle elle n'était pas encore habituée.
A l'heure qu'il est - c'est à dire à celle que j'ignore royalement -
elle doit dormir sur ses deux aiguilles au fond d'un tiroir que je me garde bien d'ouvrir.
Mes
costumes et chaussures de ville ont fait un passage éclair chez
Emmaüs et fait la joie d'un fouineur qui ne saura jamais dans quels
avions et hôtels je les ai portés, à moins qu'il ne soit resté au fond
d'une poche quelque ticket d'embarquement ou de péage
résistant ouaterplouf!
Je
découvrais tout à coup le plaisir de ne pas faire la grasse
matinée, tout surpris d'être au jardin dans mes sabots quand le
voisin partait rater son bus sans même daigner répondre à mon joyeux cri
matinal “Bonne journée!”
J'allais
apprendre tout aussi vite à oublier ce qu'est un samedi ou
bien mieux un dimanche soir, ce soir si particulier où la boule de
nerfs s'en vient insidieusement vous plomber l'estomac et la soirée!
J'en
venais à me demander si cette première journée passerait vite
ou lentement alors que je venais de répudier ma tocante, le tempo de
ma vie, le métronome de mes gestes, le sablier de mes vieilles
habitudes.
Je
tournais la page(*) – comme on dit souvent – de quarante années
de marathon pour découvrir bêtement la couverture de fin du bouquin
et derrière elle le plateau acajou de la table du salon inlassablement
nourri à la cire d'abeille
O'Cedar...
Et
maintenant qu'allais-je faire de tout ce temps (écouter du
Bécaud?) qui manquait hier à ma vie et qui s'offrait à moi comme ces
petits élastiques de bureau qu'on étire tellement qu'ils finissent par
vous pèter à la gueule?
Ce
matin là, ce qui me pétait surtout à la figure était un fatras de
nouvelles questions que je n'avais eu ni l'idée ni le temps de me
poser, du genre... une carte vermeil ça a quelle couleur, la supérette
est-elle déjà ouverte à sept heures, l'hypertension
systolique c'est mieux ou pire que la diastolique, un oeuf dur est
cuit en huit secondes ou huit minutes et les coquilles vides c'est pour
la poubelle verte ou la bleue, la météo c'est plus
fiable sur la deux ou sur la trois?
Je
demanderais bien à mon voisin mais on a plus les mêmes horaires
depuis que je n'en ai plus moi même c'est à dire depuis ce matin;
pour les oeufs, la météo et l'hypertension il doit avoir son idée mais
pour la carte vermeil?
Parait que pour les daltoniens, ils ont fait la carte
Senior...
A
l'heure qu'il est - c'est à dire un peu plus que celle que
j'ignore royalement - j'ai fait six heureux: mes chatons nés la
semaine dernière viennent d'hériter de mon attaché-case reconverti en
panière.
J'ai
failli les vexer en voulant récupérer toutes ces fiches de paie
et ces doubles de notes de frais que j'avais conservés
religieusement puis j'ai tout laissé en guise de litière. Ca ronronne
sur de la csg, ça se vautre dans la rtt et ça fait son pipi sur du net
imposable... un vrai bonheur!
Rien que pour ça, je suis fier de mon premier jour de
retraite.
J'ai subitement l'impression que c'est moi qui ronronne... ça vit
longtemps, un chat?
(*) Jeter à la mer ses dentelles: thème du 1er Octobre
(*) Tourner la page :
thème du 2 Septembre
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire