Malgré moi, je serrais mon livre de poèmes comme
s'il allait s'échapper et disparaître dans les eaux sombres.
Je trouvais l'air étrangement doux pour la saison et je goûtais l'air du large à
pleins poumons.
“Devriez rentrer, Miss... commence à faire frais!”
On ne m'avait pas souvent appelée Miss, surtout venant d'un vieil homme qui avait dû
être gardien du phare à l'époque et qui ne me lâchait pas d'une semelle.
J'avais été suffisamment persuasive pour qu'il accepte de me laisser monter malgré les
taillis et les ronces qui gênaient l'accès au vieil édifice.
J'en serais quitte pour raccommoder mes leggins!
Cette réflexion me fit rire, un de ces petits éclats cristallins comme j'en poussais
autrefois et qui Le faisaient rire lui aussi.
Je me sentais toute à la fois guillerette et grave.
Encore éblouie des derniers rayons du soleil je ne vis d'abord rien qu'un noir total
puis les murs lambrissés apparurent tels qu'ils étaient dans mon souvenir.
Je
levai machinalement la tête vers les grosses lampes du phare, cherchai
les loupes
et les réflecteurs chromés mais le chapiteau était vide, plutôt
délabré et tissé de monstrueuses toiles d'araignées semblables à des
cheveux de sorcière.
On avait démonté le sublime kaléidoscope qui avait fugitivement embrasé nos étreintes
et hanté tant de fois mes nuits blanches.
Au mur, la banquette de bois était toujours là, où je m'étais offerte à Lui sans
retenue.
Je m'y assis comme si tant d'années après, le contact rugueux du bat-flanc pouvait
réveiller la moindre parcelle de ce désir torride, cette excitation et la fougue qui Nous animait.
Il aurait pu entrer, là maintenant derrière moi que je n'en aurais été nullement
surprise; mais ce n'était que le vieil homme qui balançait sur ses jambes et semblait s'impatienter.
“Faut partir, Miss” grogna t il en secouant d'un geste dérisoire un trousseau
de clés qui ne fermaient plus rien...
Je
me plus à imaginer que parmi tous les curieux qui osaient braver
l'escalier
branlant pour monter ici, Il était peut-être revenu comme moi et
s'était assis à ma place sur Notre couche pour revivre cet instant
magique.
Le livre de poèmes était tombé sur la banquette et je ne fis rien pour le
ramasser.
Dehors, un cahot d'embruns et de déferlantes battait les rochers dans un grondement
sourd.
“Il est temps” dit le vieux d'une voix forte pour bien se faire
entendre.
Qu'était-Il devenu?
Il aurait pu me retenir mais Il n'avait pas osé tout simplement.
Je me retournai une dernière fois et comme un éclair d'orage zébrait le ciel, je crus
voir briller pour moi la lumière de Wood Island.
Dans la voiture, Hugo s'était endormi à force d'attendre; je caressai doucement ses
boucles blondes et me mis au volant.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire