mercredi 26 juin 2013

Duel

 Paru aux Impromptus Littéraires
 
 
 
 


Chez nous un banquet ne pouvait être un vrai banquet sans les histoires de l'oncle Hubert qu'il racontait sans qu'on l'en ait prié et auxquelles nos chastes et juvéniles oreilles n'entendaient rien.
Je me trouvais ce jour-là assis en face d'Anastazia.


Dois-je rappeler - pour ceux qui n'ont pas suivi - qu'oncle Hubert avait épousé sa polonaise parce qu'elle avait cette opulence des femmes slaves qui savent profiter des bonnes choses, le mollet humide et l'oeil galbé à moins que ça ne soit le contraire, un fort accent qui disparaissait après quelques rasades de vodka et la meilleure recette de bortsch au monde, enfin bref.
Toujours est-il que je n'avais jamais remarqué qu'elle eut de si longues guibolles au point de réussir à me faire du pied sous la large table du banquet.
Comme je repliais - honteux - mes jambes sous le banc, son pied me rattrapa fermement sans que je puisse lui échapper. Je n'osais la regarder mais je crus bien voir son oeil ribouller tandis que l'oncle - mon rival malgré moi - débitait ses sornettes dans l'hilarité générale.


Comme tous les autres sauf moi, Anastazia gloussait - et une polonaise qui glousse c'est un spectacle - engoncée dans un costume traditionnel particulièrement ajusté d'où dégâillait et tressautait sa non moins plantureuse paire de seins.
Déjà au front de l'oncle Hubert pointaient deux vilaines cornes et je n'osais imaginer quelle arme il choisirait pour laver l'affront sur le pré lorsqu'il aurait découvert notre liaison naissante!
Je ne valais pas tripette contre lui d'autant qu'il portait toujours sur lui cette fameuse amulette qu'il prétendait tenir du petit fils du grand-père de l'arrière grand-père d'un soldat inconnu qui l'avait arrachée en 1683 sous les murs de Vienne au grand vizir Kara Mustapha en personne, juste avant sa décapitation par le sultan Mehmed IV... mais vous saviez déjà tout ça.
D'un simple appel du pied sous la table, sa poméranienne venait de jeter son dévolu sur moi, faisait fi des vingt cinq ans et des quatre vingt centimètres qui nous séparaient et risquait fort d'être ma veuve avant que nous ayons consommé!


Jambes flageolantes et le souffle coupé je tentais de survivre, esquivant tour à tour les oeillades assassines de ma furie et les clins d'oeil dont l'oncle Hubert émaillait son histoire et qui semblaient ne s'adresser qu'à moi.
N'y tenant plus je guettais les applaudissements des convives qui me permettraient de faire diversion et de fuir l'inévitable massacre quand un jappement impérieux éclata sous la table et coupa le sifflet de l'oncle!
Quiconque a déjà coupé un sifflet ne peut imaginer à quelles sanctions il s'exposerait devant l'orateur de notre famille, mais déjà Gavroche - le briard du restaurateur - sautait sur mes genoux pour me lécher comme si on avait gardé les moutons ensemble. Bizarrement tante Anastazia avait le regard moins brillant et les cornes de l'oncle Hubert s'étaient rétractées comme par enchantement.


Profitant de la confusion je jartai Gavroche aux cuisines d'une tape inamicale et glissai un oeil furtif sous la table: sous son tablier brodé Anastazia avait des jambes normales, enfin des jambes de polonaise et le duel allait attendre! 
 

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