Paru aux Impromptus Littéraires
Chez
nous un banquet ne pouvait être un vrai banquet sans les histoires
de l'oncle Hubert qu'il racontait sans qu'on l'en ait prié et auxquelles
nos chastes et juvéniles oreilles n'entendaient
rien.
Je me trouvais ce jour-là assis en face
d'Anastazia.
Dois-je
rappeler - pour ceux qui n'ont pas
suivi - qu'oncle Hubert avait épousé sa polonaise parce qu'elle
avait cette opulence des femmes slaves qui savent profiter des bonnes
choses, le mollet humide et l'oeil galbé à moins que ça ne
soit le contraire, un fort accent qui disparaissait après quelques
rasades de vodka et la meilleure recette de bortsch au monde, enfin
bref.
Toujours est-il que je n'avais jamais
remarqué qu'elle eut de si longues guibolles au point de réussir à me faire du pied sous la large table du banquet.
Comme
je repliais - honteux - mes jambes
sous le banc, son pied me rattrapa fermement sans que je puisse lui
échapper. Je n'osais la regarder mais je crus bien voir son oeil
ribouller tandis que l'oncle - mon rival malgré moi - débitait
ses sornettes dans l'hilarité générale.
Comme
tous les autres sauf moi, Anastazia
gloussait - et une polonaise qui glousse c'est un spectacle -
engoncée dans un costume traditionnel particulièrement ajusté d'où
dégâillait et tressautait sa non moins plantureuse paire de
seins.
Déjà
au front de l'oncle Hubert pointaient
deux vilaines cornes et je n'osais imaginer quelle arme il
choisirait pour laver l'affront sur le pré lorsqu'il aurait découvert
notre liaison naissante!
Je ne valais pas tripette contre lui
d'autant qu'il portait toujours sur lui cette
fameuse amulette qu'il prétendait tenir du petit fils du
grand-père de l'arrière grand-père d'un soldat inconnu qui l'avait
arrachée en 1683 sous les murs de Vienne au grand vizir Kara Mustapha en
personne, juste avant sa décapitation par le sultan
Mehmed IV... mais vous saviez déjà tout ça.
D'un
simple appel du pied sous la table, sa
poméranienne venait de jeter son dévolu sur moi, faisait fi des
vingt cinq ans et des quatre vingt centimètres qui nous séparaient et
risquait fort d'être ma veuve avant que nous ayons
consommé!
Jambes
flageolantes et le souffle coupé je
tentais de survivre, esquivant tour à tour les oeillades assassines
de ma furie et les clins d'oeil dont l'oncle Hubert émaillait son
histoire et qui semblaient ne s'adresser qu'à
moi.
N'y
tenant plus je guettais les
applaudissements des convives qui me permettraient de faire
diversion et de fuir l'inévitable massacre quand un jappement impérieux
éclata sous la table et coupa le sifflet de
l'oncle!
Quiconque
a déjà coupé un sifflet ne peut
imaginer à quelles sanctions il s'exposerait devant l'orateur de
notre famille, mais déjà Gavroche - le briard du restaurateur - sautait
sur mes genoux pour me lécher comme si on avait gardé les
moutons ensemble. Bizarrement tante Anastazia avait le regard moins
brillant et les cornes de l'oncle Hubert s'étaient rétractées comme par
enchantement.
Profitant
de la confusion je jartai Gavroche
aux cuisines d'une tape inamicale et glissai un oeil furtif sous la
table: sous son tablier brodé Anastazia avait des jambes normales, enfin
des jambes de polonaise et le duel allait
attendre!
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