Elle faisait aviron cinq mètres, tout au
plus cinq mètres cinquante et s'appelait - on ne sait pourquoi - Le Nautilus, en tout cas il nous fallu écoper vingt minutes avant d'y poser les pieds au sec.
Oncle Hubert avait insisté pour louer
celle-ci car - disait-il - il la sentait bien.
Moi je trouvais surtout qu'elle sentait le
moisi avec ses bancs tout déniapés et que ça viaunait le poisson pourri à en choper le virot!
Comme
on se chamaillait pour savoir qui
prendrait les rames, l'oncle expliqua qu'elles possèdent un côté qui
plonge dans l'eau et un côté qui donne des ampoules... et nous montra
comment prendre l'instrument par le bon bout c'est à
dire par celui qui donne des ampoules.
Il
ajouta que quand la rame ne repose pas
sur la barque - dans cet objet qu'on nomme joliment la dame de nage -
on appelle ça une pagaye et c'en fut une belle tellement on s'était mis
à ramer comme des manches.
L'oncle
Hubert nous ayant traités de
berlodiaux et autres qualificatifs locaux en prit un (manche) dans
chaque pogne et sur sa tête la lourde responsabilité de notre mener à
bon port avant la nuit.
Dire qu'on appelle ça 'ramer en couple'
relève de la plus pure invention puisqu'Anastazia (*) avait eu la prudence de rester à la maison.
“Regardez
bien” dit-il en s'asseyant dos à
la pointe “voilà ce que c'est que ramer à la ponantaise” et on
comprit bien vite qu'on ne serait pas assez de quatre pour le guider
dans la bonne direction.
Notre but était le grand barrage de granit
au bout du lac des Cheutons (les étrangers disent Les Settons) où on espérait apercevoir quelques belles gueules de brochet.
Très
inquiet du roulis qui s'amplifiait à
chaque coup de rames, Petit Pierre ne fut pas plus rassuré quad
oncle Hubert eut rétorqué "qu'une mer calme n'a jamais fait un bon
marin".
Pour
l'heure un rayon de soleil entre deux
gros nuages noirs éclairait sa face rubiconde, éclatant témoignage
de son effort et il se fendit d'un “O Sole Mio... Che bella cosa e' na
jurnata 'e sole” assez déplacé et copieusement farci de
canards!
Ses vocalises furent subitement interrompues
par une grosse rabasse tombée d'un nuage d'encre et qui nous laissa tripés et gaugés jusqu'aux os en moins deux minutes.
On dut se résoudre à écoper à nouveau tant
l'eau montait, et consoler Petit Pierre qui chouinait de plus belle.
Paradoxalement si on était trempés, on n'y
voyait goutte et l'oncle jugea plus prudent d'abandonner sa nage à la ponantaise pour godiller, tourné vers l'avant.
Je reste persuadé qu'il avait surtout les
fesses talées et grand besoin de se décramper les jambes.
Pour
le novice que j'étais, je dirai que la
godille - telle que oncle Hubert la pratiquait à cet instant - est
une sorte de danse entre le twist et le mashed potatoes censée faire
avancer l'embarcation et qui eut pour seul effet de nous
faire perdre notre dernière rame.
Sur le barrage un forcené nous faisait des
grands signes et finit par nous lancer un grappin qu'oncle Hubert manqua de peu de prendre dans les dents!
C'était le père Némot, le loueur de barques
venu à notre rescousse et sans qui je ne pourrais relater cette aventure aujourd'hui.
Notre commandant Hubert avait baissé les
couleurs dans la plus pure tradition de la marine - livide et claquant des dents - remis Le Nautilus à son propriétaire et pris congé à grandes enjambées en nous poussant devant
lui.
On
ne court jamais très vite dans des
pantalons trempés mais à l'idée de nous requinquer autour du bortsch
fumant qu'aurait mitonné Anastazia, on regagna la maison aux premières
étoiles.
Ce que j'aime plus que tout chez la femme
slave - je ne connus jamais que celle-là - c'est sa propension à ne jamais poser de questions... et ce fut bien ainsi.
(*) Anastazia: Voir le
Défi#209 si le coeur vous en dit
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