samedi 24 janvier 2015

La vie, c'est pas du cinoche




« Ah bah, maint'nant, elle va m'aller beaucoup moins bien, forcément ! » pleurnicha t-elle, façon Bourvil.
Pourquoi ne pouvait-elle pas s'empêcher de citer ces répliques cultes dont certains nous rebattent les oreilles... mais la vie, ma poulette, c'est pas du cinoche.
Je me rendais compte que j'y étais allé un peu fort mais c'était d'abord la faute à ce mignon petit nœud noir à l'entre-bonnet, cet affriolant drapé de tulle, ce laçage raffiné et toute cette dentelle qui dégueulait sur le devant et dans le dos aussi... désolé, moi je ne fais pas dans la dentelle.
Si ce n'était cette moue enfantine qui venait de me faire craquer, je n'aurais pas aimé du tout son œil noir chargé de reproches qui tendait à faire de moi le pire des salauds.
“Faut r'connaître... c'est du brutal” dit-elle et elle cita aussitôt Les Tontons Flingueurs avant que je m'énerve tout à fait.
Pourtant à aucun moment dans nos violents ébats elle n'avait semblé préoccupée par sa guêpière, ce maudit rempart entre nos deux épidermes que je détestais plus que tout.
« Trente quat' euros à La Redoute » insista t-elle pingrement en expertisant les dégâts.
Tel un lance-pierre, une jarretelle pendouillait au lustre à pampilles comme un reproche au dessus de ma tête.
Au jeu des répliques j'étais nul mais je tentai quand même un « Mais tu ne comprends pas... je suis un homme » que j'avais entendu dans Certains l'aiment chaud.
Le retour de bâton arriva, assommant : « Et alors, personne n'est parfait !». Elle avait dû entendre ça plein de fois ou alors ça n'était pas une réplique et ça dépassait les bornes.
Qu'est-ce qu'elle s'imaginait? Que j'allais l'emmener chez Darjeeling faire repriser les dégâts?
J'ai eu soudain envie de rire.
« Et ça t'fait marrer? » protesta t-elle en se drapant d'un bout de drap.
« Oui ma jolie! Je tiens enfin mon sujet ! »
« C'est dans quoi ça? Je tiens enfin mon sujet ? »
J'ai bombé le torse: « C'est dans rien. C'est le sujet des Impromptus... Les beaux dégâts »
“Commence par finir c'que t'as commencé!” répliqua t-elle.
Comme je me précipitais sur elle, elle bondit hors du lit, nue et échevelée: “Non mais ça va pas? C'est dans l'Voyage de Shihiro! Qu'est-ce que tu croyais?”
Je commençais à en avoir marre de ses devinettes, de son Shihiro et de ses dessous à trente quatre euros!
“La prochaine fois, mets du solide... ou plutôt ne mets rien” lui lançai-je à la figure.
Elle devint blanche: “La prochaine fois y aura pas d'prochaine fois”.
Son cou était de la même blancheur, un de ces cous graciles... et mes doigts s'étaient mis à fourmiller de mille picotements.
Elle dut lire une interrogation dans mon regard: “Ça c'est dans Les Sopranos...”
J'allais serrer, mais elle a bredouillé: ”Déconne pas... si t'as pas vu la saison Cinq, tu peux pas d'viner”
Bien sûr que je n'avais pas vu la cinquième saison... comme si j'ignorais qu'il n'existe que quatre saisons!
Rien que pour ce mensonge, moi qui ne sais rien faire de mes dix doigts - comme on m'avait toujours répété - j'ai failli serrer et puis j'ai lâché son cou pour chercher cinquante euros dans une poche.
“Tiens pour tes beaux dégâts...” ai-je lâché avant de claquer la lourde.
“Hé!! C'est qui cet impromptu?”




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