La corvée de haricots consistait à équeuter cette montagne de gousses que
le papi répartissait par grosses poignées entre nous, jeunes volontaires désignés d'office.
Le papi se réservait la tâche honorifique et délicate de les ranger
verticalement - une fois équeutés - tels des petits soldats dans un régiment de bocaux à l'alignement millimétré.
En
ronchonnant, chacun émasculait son mangetout par les deux bouts,
retirant un fil, recoupant les plus longs à la taille réglementaire
en se dépêchant lentement pour éviter une poignée de haricots
supplémentaire.
Quand
on est gamin et qu'on s'apprête à vivre les sempiternels mois de
vacances dans cette grande maison de famille bourguignonne posée à
deux pas d'adulte du canal du même nom - soit quatre ou cinq pas
d'enfant - il y a de quoi s'inquiéter.
La corvée du dimanche consistait à passer les deux ponts pour rejoindre
l'église située en haut du village avant le dernier coup de cloche et sans salir nos beaux habits.
La
mamie rêvait d'un autre habit pour nous... soutane pour un garçon ou
voile pour une fille mais la vocation ça ne vient pas toujours dans
un missel jalonné d'images de communiants et le Patron - figé sur sa
croix et contraint de subir les sermons déjantés d'un curé
loufoque - n'embaucha guère plus que quelques espiègles enfants de
choeur.
Quand
on est gamin et qu'on s'apprête à cohabiter - je veux dire faire son
trou - avec ses frère, soeur, cousin, cousine, oncle, tante, parents
et aïeuls qui ont chacun leurs codes, leur tempérament et leurs
exigences, il y a de quoi s'inquiéter.
La
corvée du coucher consistait à entamer une seconde journée faite de
batailles de polochons et diverses agaceries et tout ceci à tâtons
puisque le papi ingénieux avait inventé l'extinction télécommandée des
feux au moyen d'un interrupteur judicieusement disposé
vers sa chambre.
La corvée de pêche à la ligne était parmi les plus douces puisqu'en
quelques secondes nous posions pliants, bourriches et épuisettes à quatre ou cinq pas d'enfants devant la maison.
Armés
de patience et d'hameçons trop acérés pour nos petits doigts, nous
taquinions tout ce qu'il y avait à taquiner entre deux passages de
péniches chargées à ras bord et qui déclenchaient des tsunamis couleur
café-au-lait où disparaissaient nos bouchons dans des
relents vaseux mêlés de gasoil...
Quand
on est gamin et qu'on s'accroche la serviette autour du cou pour une
de ces orgies qui s'étirent presque jusqu'à l'heure du souper sans
pouvoir vraiment quitter la table, il y a de quoi s'inquiéter.
On
vous y gave au pâté en croûte, vous torture aux escargots persillés,
vous condamne au doublé poisson-viandes avant les tourments
salade-fromage-dessert tout en vous promettant aux calendes grecques ce
fameux verre de Ruchottes-Chambertin dont les grands se
gobergent.
Pour peu que l'orgie dégénère on vous forcera à chanter en public le
dernier tube de Guy Béart “Ma petite est comme l´eau, elle est comme l´eau vive, Na na nère...”
Pourquoi tant d'eau au pays du pinot noir?
Est-il
bien utile - à moins d'être masochiste - d'évoquer la corvée de
balayage des escaliers, de la terrasse, celle de l'arrosage des
fleurs avec l'eau du canal, celle du ramassage des prunes, celle de la
cueillette des cassis de la tante Azelle?
Alors, avec tout ce qui s'est passé, voilà ce que je me dis: moi, je
peux toujours regarder derrière et dire qu'au moins je me suis pas ennuyé
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