Publié sur le site MilEtUne d'après Gauguin
“S'il
te plaît... dessine-moi un mouton !”
“Laisse-moi
petit, tu vois pas qu'je bosse?”
Je
suis resté le pinceau en l'air. Ce gosse nu comme un ver devait
avoir dix ans et l'air effronté des mômes polynésiens de son âge.
“Qu'est-ce
que tu fais?” me demande t'il en tournoyant autour de mon chevalet
comme un sioux qui aurait déterré sa hache de guerre.
Mes
deux nymphes tahitiennes se marrent comme des baleines en s'ébrouant
dans les vagues océanes.
Je
leur avais pourtant ordonné de ne pas bouger avant que j'en aie fini
avec le pataquès de couleurs de ces foutus paréos... des fleurs de
tiaré d'un jaune pas vraiment jaune, le tissu d'un bleu pas tout à
fait bleu!
Et
les voila qui s'agitent, qui se déloquent sans pudeur et plongent
dans la grande bleue.
Ce
morveux fiche tout par terre et salope mon oeuvre!
“Tu
verras” m'avait dit Cézanne “ici c'est le paradis”
Tu
parles d'un paradis! Ici on m'accuse d'exploiter les gens à des fins
commerciales, de faire de la traite de vahinés et que sais-je
encore...
“Alors?
Et mon mouton?” insiste le morveux.
“Dégage
petit... je sais pas faire les moutons”
C'est
sorti comme ça, sans réfléchir comme si je n'avais jamais rien
appris de mes maîtres, Pissarro et les autres!
“Tu
sais faire quoi à part peindre ma mère?” me répond-il
effrontément.
“Ta
mère? C'est laquelle ta mère?”
Il
me désigne celle aux formes pleines qui s'ébroue nue dans les
vagues.
Ca
doit être une habitude chez eux de se trimballer à poil.
Il
commence à m'agacer ce gamin.
“Et
ton père, c'est celui qui pêche au harpon derrière elle?”
“Peut-être.
Je sais pas qui c'est mon père” répond-il en levant les yeux au
ciel.
C'est
vrai qu'ici il y a plus de manu tipao (hommes volages) que de manu
paari (hommes sages).
“Et
puis ma mère elle est pas vraiment comme ça” ajoute t-il en
touchant ma peinture d'un doigt crasseux.
Je
sens que je vais péter un plomb: “Moi c'est comme ça que je la
vois, petit. Maintenant va jouer ailleurs!”
“Avec
mon mouton?”
Il
s'est campé devant moi, prêt à en découdre:” Tu vas l'appeler
comment ta peinture?”
Je
n'avais pas réfléchi à ça, alors j'improvise: “Euh... près de
la mer”
Il
fait la grimace: “Alors appelle ça... Fatata te miti... c'est
mieux pour toi”
Je
ne vois pas en quoi c'est mieux pour moi mais je n'ai qu'une envie,
qu'il aille au diable et me laisse finir les jaunes et les bleus des
paréos.
“Va
pour Fatata te miti”
Comme
il s'éloigne je le rappelle malgré moi: “Tu le veux comment ton
mouton?”
J'ai
sorti mes fusains et une feuille blanche. Il a le sourire aux lèvres
et je sens sa main sur mon bras...
Plus
loin deux vahinés au rire clair s'ébattent nues dans l'écume des
vagues.
Foutu
paradis!
j'adore évidemment !
RépondreSupprimeravec le sourire
Gauguin savait-il dessiner les moutons? Je n'ai pas la réponse :)
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