Publié sur MilEtUne d'après l'oeuvre de Stéphane Lavoué
“Allo... inspecteur La Bavure? Je ne vous dérange pas?”
“Vous savez quelle heure il est, Ouatson?”
“Euh... non chef, ma montre est givrée”
“Hein? Et bien dégivrez ou rencardez-vous, mon vieux et vous comprendrez à quel point vous me dérangez!”
“Ça va pas être possible, chef”
“Et pourquoi ça?”
“Parce que je suis enfermé, chef”
“Demandez à Ouatelse de vous ouvrir, Bon Dieu!”
“Ça va pas être possible, chef”
“Arrêtez de répéter toujours la même chose, Ouatson! Où est-elle encore fourrée celle-là?”
Ouatelse avait été recrutée deux ans auparavant, plutôt bien roulée et autant bourrée d'arguments d'embauche que dénuée de tout jugement.
“Euh... elle est enfermée avec moi, chef”
“Comment ça?”
“Et bien il y a eu comme un courant d'air et puis la porte s'est refermée sur nous, chef”
“Mais vous êtes bouclés dans quel endroit pour pas pouvoir sortir?”
“C'est un endroit bizarre, chef, un peu comme un cimetière... c'est tout noir et ça caille. La porte est fermée et malgré tout on ressent toujours ce foutu courant d'air froid qui vous glace les...”
“Passez-moi les détails. Vous seriez pas plutôt dans un frigo?”
“Euh... en tout cas ça sent la mort, chef... Hein Ouatelse que ça sent la bidoche?”
Chez les assistantes du 36 Quai des Oeufs frais, on n'a pas l'habitude de débiner les collègues, sauf pour l'avancement.
“Affirmatif, inspecteur! Comme dit Ouatson, ça sent la bidoche, moi je dirais plutôt que ça sent le chien mouillé... j'ai eu autrefois un chihuahua qui sentait comme...”
“Ça suffit! Dites donc Ouatson, vous m'appelez avec quoi? Y a un téléphone mural dans vot' frigo?”
“Non chef! J'appelle avec le portable de service”
“Dites mon vieux, le portable de service ne donne pas l'heure? Y fait pas un peu de lumière? Y permet pas d'localiser l'endroit où vous êtes et d'appeler le proprio du frigo ou n'importe qui d'autre que moi à trois plombes du mat?”
“Euh... vous me cueillez à froid, chef... et puis j'ai les doigts gelés. Juste de quoi appeler votre domicile sans vouloir vous déranger”
“C'est fait mon vieux. Et Ouatelse, elle a aussi les doigts gelés?”
“Oui, enfin non chef, plus maintenant... vu qu'elle réchauffe ses mains dans mes poches”
“Alors dites lui de récupérer ses doigts pour vous sortir de là. Moi, je retourne au pieu!!”
“Euh... Ça va pas être possible, chef”
“Comment ça? Ça va pas être possible que je retourne me pieuter?”
“J'ai pas dit ça, chef... ça ne va pas être possible à cause de ses ongles. Ouatelse a des ongles bien trop longs pour utiliser le clavier du portable de service”
“Ouais... des ongles longs et des idées courtes, je suis au courant! Démerdez-vous à vous localiser que je vous envoie une équipe, et fissa!”
On a beau être inspecteur principal au 36 Quai des Oeufs frais, cinq minutes d'attente dans une moitié de pyjama... ça vous fait monter la tension, le cholestérol et le diabète tout à la fois.
Il eut un geste circulaire sur les tableaux du salon. Il commençait à prendre racine, comme toutes ces croutes accrochées aux murs.
“Ça y est, chef! Vous ne devinerez jamais l'endroit où on est localisés, Ouatelse et moi! Ça fait froid dans le dos, chef”
“J'ai pas envie de jouer aux devinettes, Ouatson! Donnez-moi l'adresse que j'envoie la patrouille”
“Euh... f'est fez nous, fef” “Hein?”
“S'cusez... lèvres gercées, fef. L'endroit c'est chez nous”
“Quoi c'est chez nous?” “C'est à la boîte, chef... c'est indiqué 36 Quai des Oeufs frais”
“Quoi? Vous êtes au 36? Mais y a pas de boucherie ni de frigo, attendez... à part la morgue du médico-légal!” “Ça doit être ça chef, l'odeur de bidoche... au moins les gars de la patrouille n'auront pas à aller bien loin”
Clic...
“Allo... inspecteur... inspecteur?”