Publié aux Défis Du Samedi
“Vous
devinerez jamais d'où j'appelle, inspecteur?”
L'inspecteur
La Bavure soupira. Ouatson avait ce don pour appeler toujours au
mauvais moment et indisposer ses collègues et sa hiérarchie du 36
Quai des Oeufs Frais.
Sa
question appelait la même réponse, quand on ne lui raccrochait pas
au nez.
”Non,
mais vous allez pas tarder à me l'dire, Ouatson... j'ai une énigme
à résoudre!” aboya La Bavure.
“Vous
vous souvenez de cette affaire de trafic de poisson-clowns à
Concarneau, chef?”
La
Bavure ouvrit la bouche pour soupirer tandis que par mimétisme
s'ouvrait la porte de son bureau.
“La
nouvelle vient juste d'arriver, inspecteur!!” beugla Ouatelse,
essoufflée
et coiffée de son éternel balai O'Cedar que d'autres appellent des
dredlocks.
“Ca
vous ennuierait d'frapper avant d'entrer?” éructa La Bavure.
Ouatelse,
assistante recrutée trois ans auparavant, plutôt bien roulée et
autant bourrée d'arguments d'embauche que dénuée de tout jugement
réitéra l'objet de sa tonitruante apparition : “La nouvelle vient
tout juste d'arriver, inspecteur!”
“Quelle
nouvelle?”
“Euh...
le nouvel officier de police de notre service, inspecteur”
La
Bavure raccrocha promptement... Ouatson pouvait bien aller pêcher
ses poisson-clowns tout seul.
“Bon
sang, c'est vrai. Allez la chercher fissa, Ouatelse”
On
se souvient que pour les assistantes féminines du 36 Quai des Oeufs
Frais, l'expression fissa est pondérée par un critère purement
technique: la hauteur des talons de ladite assistante mais ce jour-là
Ouatelse avait opté pour des it-shoes, des moonboots ultra
vitaminées rose fluo du plus bel effet.
D'une
bourrade dans le dos, le nouvel officier de police du service éjecta
Ouatelse et vint se planter devant le bureau de La Bavure.
“Officier
de police premier échelon Ouatmore” tonna t elle en broyant
sauvagement la main de sa hiérarchie.
“Enchanté”
gémit La Bavure en récupérant ses doigts “Bienv'nue au 36 Quai
des Oeufs Frais, Officier Ouatmore!”
La
nouvelle était petite, presque insignifiante malgré une poigne de
fer, à l'opposé de sa consoeur en moonboots dont elle venait de se
faire une charmante ennemie.
La
Bavure se leva, autant pour “asseoir” son autorité que pour
mieux masser ses phalanges meurtries :”J'vous fais visiter la
boîte?” lança t il comme s'il en était l'unique propriétaire.
“Pas
la peine“ répondit Ouatmore “un troupeau de mâles en rut m'a
déjà balladée dans tous les étages”.
La
Bavure se rassit car il n'était pas de première fraîcheur.
A voir
la tenue impeccable de Ouatmore, le traditionnel bizutage aux oeufs
frais n'avait pas eu lieu contrairement aux habitudes de cette
mythique institution.
“Vous
allez bosser ensemble dès maint'nant” dit-il aux deux
“collaboratrices”.
Si
Ouatmore n'avait pas bronché, le balai O'Cedar
s'agita en signe d'agacement.
“Epluchez-moi
cette lettre anonyme que nous avons reçue c'matin... j'vous donne la
journée pour élucider c'machin auquel je pige que dalle”.
Ouatmore
se pencha sur l'épaule de Ouatelse qui s'était déjà précipitée
sur le bureau.
“Un
officier d'police, ça doit déchiffrer ça fissa” ajouta
moqueusement La Bavure.
Ouatmore
lut à voix haute :”J'ai quatre pattes le matin, deux à midi et
trois le soir”
En
comptant sur ses doigts, le balai O'Ceda venait de perdre de sa
superbe. Quel taré avait bien pu pondre une telle connerie?
“J'ai
trouvé” dit calmement Ouatmore.
Une
lueur d'admiration doublée d'inquiétude apparut dans le regard de
La Bavure juste avant que le téléphone ne sonne à nouveau.
“La
Bavure, j'écoute” dit-il en dévisageant sa nouvelle recrue.
“Vous
devinerez jamais d'où j'appelle, inspecteur?”
La
Bavure soupira :”Plus tard mon vieux, l'instant est grave ici” et
il raccrocha rageusement.
Vexée,
Ouatelse nageait dans ses moonboots :”Alors Ouatmore? C'est quoi
cette connerie?”
Ouatmore
fit la moue :”Je ne vois pas en quoi ce petit jeu d'esprit a besoin
d'être anonyme... tout le monde connait la réponse”.
La
Bavure tenta de se redresser dans son fauteuil avachi par des années
d'enquêtes, de cogitations et de micro-siestes...
“Eclairez-nous,
Ouatmore” susurra t il, la bouche en coeur.
Ouatmore
gloussait :”Le matin c'est l'enfance, le midi c'est l'âge adulte
et le soir c'est la vieillesse”
“Bon
sang mais c'est bien sûr!” explosa La Bavure qui avait bien connu
Bourrel à la télévision.
Ouatelse
avait eu la bonne idée de naître métis, ce qui lui évitait de
rougir jusqu'aux oreilles à chaque humiliation :”Oui mais la
troisième patte du soir... alors... c'est sexuel?”
La
Bavure leva les yeux au plafond; le crépi se décollait au fil des
ans et le prochain déménagement dans la ZAC de Clichy-Batignolles
ne serait pas un luxe.
Ouatmore
gloussa d'une octave plus haut :”La canne, Ouatelse... la canne!”
Concluant
que cet argument oiseux ne cassait pas trois pattes à un canard ni à
une cane, Ouatelse quitta le bureau sans un regard.
“Un
homme... tout ça pour décrire un homme” répéta La Bavure,
songeur “un homme mais lequel?”
“Un
anonyme” osa Ouatmore, sarcastique.
“Vous
parlez comme Ouatson” s'étonna La Bavure.
“Qui
c'est ça, Ouatson?” demanda Ouatmore.
La
Bavure soupira :”Vous avez bien le temps de le connaître... prenez
d'abord bien vos marques”.
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