des
personnages : un grand-père et un enfant
une profession :clown
une période :1914
des lieux :Un pont et le département du Rhône
un objet :un pendentif
un animal: un lapin
une phrase «et pourtant, je t’avais prévenu(e)»
une profession :clown
une période :1914
des lieux :Un pont et le département du Rhône
un objet :un pendentif
un animal: un lapin
une phrase «et pourtant, je t’avais prévenu(e)»
... les 8 éléments proposés et imposés par Les Impromptus Littéraires
Je
l'avais toujours vu rire - faut croire qu'il était né avec cet
indestructible sourire qui éclairait son visage - pourtant ce 25
mars j'ai vu pleurer mon papé.
C'était
pas des sanglots comme un gone* qu'on a privé de dessert, les clowns
ça pleure pas vraiment, ça fait semblant même pour la mort d'un
grand homme.
Mon
papé était clown ( on disait clovne) à mi-temps dans le quartier
de la Mouche et tripier ambulant le reste du temps c'est à dire de
septembre à juin.
Ah
il fallait l'entendre aboyer “Des tripes, des tripes” en
secouant un chapelet d'énormes Jesus en pendentif comme pour imiter
la Belle Otero ou Mata Hari.
Je
crois qu'il était en fait le seul amuseur-tripier-charcutier de
l'agglomération lyonnaise à vendre du tablier de sapeur* avec un
gros nez rouge.
Il
disait que le gras-double méritait bien qu'on crie deux fois aux
tripes d'autant plus qu'il mettait double dose de Mâconnais blanc
dans sa préparation.
Bien
avant le drame il m'avait dit “La neige en mars sur le pont du
Rhône c'est le plus mauvais des présages”.
Avec
l'insouciance qui caractérise les piafs de mon âge je n'y avais
rien vu de bien inquiétant à part l'obligation d'aller tripler la
litière de paille dans le clapier du lapin Pinpin.
Il
faut dire que Pinpin c'était son outil de travail - son travail de
clown, pas de tripier - la grosse boule de poils surprise qu'il
sortait de son vieux chapeau sous les éclats de rire et que je
préservais des pattes de mémé Anaïs qui l'aurait volontiers
accommodé à la moutarde de Dijon!
Faut
dire qu'on mangeait pas du lapin tous les mois et que mémé Anaïs
était aussi méchante et rabat-joie que papé était jovial.
Il
l'avait épousée en secondes noces en déclarant qu'on gagne
rarement deux fois à la loterie, aussi ce n'était pour moi qu'une
demie-mémé nonobstant un quintal certifié.
Les
“Et pourtant, je t’avais prévenu” de demie-mémé
ponctuaient chacun de mes tours pendables et j'ai dû courir plus
d'une fois me réfugier vers papé pour éviter une rouste.
Ce
jour-là j'avais été exceptionnellement sage et par conséquent
mémé Anaïs trop silencieuse; tout ça était anormal d'autant que
le vent s'était tu (papé aurait dit “Le vent d'autan c'est tétu”
si l'heure avait été aux plaisanteries).
Il
se contenta de dire gravement “Avignon sans Mistral, c'est plus
Avignon” en essuyant une larme sur sa joue. Si le Rhône
l'avait fait naviguer trente ans plus tôt jusqu'au coeur de Lyon il
n'avait jamais oublié sa Provence natale.
Je
sais parfaitement qu'on était le 25 mars 1914 puisque c'était le
jour de l'arrivée à Paris du 6ème Tour de France Automobile passé
quelques jours plus tôt dans notre capitale des Gaules.
J'ai
bien vu que papé n'avait pas le coeur à parler des Bugatti et
autres de Dion-Bouton qu'on avait pu applaudir devant la Préfecture.
Fini
automaboules*, moteurs pétaradants et lapin farceur sorti du
chapeau, aujourd'hui on pleurait Frédéric Mistral le poète
provençal.
Pour
un guignol comme moi, un poète c'était une espèce de fada
moustachu avec un grand chapeau et je n'étais pas conscient que ce
jour signait la fin de la Belle Epoque et que la langue d'Oc perdait
son plus farouche défenseur.
Plus
tard mon papé retrouva son sourire et mémé Anaïs ses saboulées*
mais quelque chose s'était définitivement brisé.
Plus
rien ne tournait comme avant, j'appris que faute de concurrents, les
rares participants au 6ème tour de France automobile avaient été
déclarés ex-aequo à Paris.
Le
mauvais présage annoncé par papé allait si je peux dire faire
boule de neige quelques mois plus tard du côté de Sarajevo mais ça
c'est une autre histoire.
gone
: enfant
tablier
de sapeur : spécialité culinaire de la région lyonnaise à
base de gras-double
automaboule
: automobile
sabouler
: réprimander
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