Publié aux Défis Du Samedi
En
dépit de sa grande gueule de bourguignon nous savions tous que notre
Oncle Hubert avait toujours été timide avec les femmes et le récit
qu'il nous faisait souvent de sa rencontre avec sa polonaise
Anastazia ne le démentait pas.
Il
avait pour l'occasion préparé une sorte d'antisèche, une petite
liste de commentaires et de questions qui devaient lui assurer le
succès de son entreprise.
Ainsi
donc il fit ce qu'on appelle le premier pas pour s'approcher du
buffet qui avait été dressé pour l'occasion et poussa la jeune
femme du coude en disant d'une voix mal assurée :“Il a l'air bon
ce buffet”.
Il
ignorait à cet instant qu'elle était polonaise et qu'elle préférait
de loin le bortsch aux gateaux secs et la wodka à notre kir
national... aussi ne répondit-elle qu'un petit “oui” de
politesse.
La
seconde phrase aurait peut-être plus de succès alors - réprimant
cette gêne qui paralyse les timides - il s'enhardit :“J'ai trouvé
cette réunion constructive, et vous?”
Elle
se retourna tout à fait, surprise :”Oh vous savez, les
enterrements... quand on en a vu un”.
La
question d'Oncle Hubert était peut être mal appropriée à la
situation mais elle avait eu le mérite de surprendre la jeune femme.
Il
est vrai qu'on trouve difficilement quelque chose de constructif à
assister aux funérailles d'un quidam.
Anastazia
avait cette opulence des femmes slaves qui savent profiter des bonnes
choses; il lui trouva le mollet humide et l'oeil galbé ou le
contraire. Il ne savait plus.
Il
lui fallait enchaîner rapidement de peur que le soufflé ne retombe.
Donc
Anastazia venait de sa Pologne natale pour la saison des vendanges et
logeait chez la mère Jacotot derrière la mairie.
Contrairement
à l'assistance endeuillée elle portait avec grâce le costume
traditionnel - bustier, jupe et tablier fleuri - et aussi un nom en
ski. Notre oncle crut comprendre que les noms polonais finissent
souvent en ski à cause de leur rigoureux climat hivernal.
“J'adore
votre chemisier” bredouilla t-il en tripotant son antisèche en
attendant mieux.
Il
en était déjà à sa troisième citation et l'affaire ne
progressait guère.
Pourquoi
était-il si difficile de briser la glace même quand on est fort,
bien fait de sa personne et beau parleur?
“C'est
un corselet de la région de Cracovie” rectifia Anastazia en
exhibant le costume d'où dégaîllait une poitrine particulièrement
généreuse.
L'Oncle
transpirait abondamment et s'empressa de servir deux grands verres
:“C'est un Ruchottes-Chambertin 2003. Est-ce que vous l'aimez?”
Anastazia
y trempa ses lèvres si joliment charnues qu'on eut dit de grosses
framboises.
“Je
préfère notre wodka à l'herbe de bison” dit-elle avec une moue
ravissante.
En
d'autres circonstances, l'Oncle se serait offusqué d'une telle
offense à son terroir mais entre eux la glace se craquelait et
semblait prète à fondre, alors il lâcha le dernier commentaire de
son antisèche comme on lancerait une bouée de sauvetage à un
naufragé, en dernier recours :"J'ai l'impression qu'il y a
moins de monde que la fois passée”
Elle
le dévisagea, encore plus surprise :”C'est la première fois que
je viens ici, Hubert”
Elle
l'avait appelé par son prénom!
C'était
LE signe, la preuve indiscutable qu'il avait harponné sa proie sur
une banquise qui fondait à vue d'oeil et se dérobait sous ses
pieds.
Comment
conclure quand on a épuisé son questionnaire? Improviser au risque
de tout gâcher?
Pourquoi
souriait-elle alors qu'il allait périr noyé?
Au
fond de sa poche il rencontra une clé, la clé de la Juvaquatre du
grand-père.
Alors
sans savoir pourquoi il parla de la Juvaquatre, une treue à quatre
portes avec freins hydrauliques, 3 vitesses, une marche arrière et
un coffre accessible de l'extérieur! Un bolide qui tapait le 95
kilomètres à l'heure et même parfois pendant une heure... et
Anastazia était aux anges.
Elle
prit Oncle Hubert par la main :”Hubert, on va l'essayer?”
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