Publié sur le site MilEtUne d'après l'illustration
C'est
au fond de la vallée de la région de l'Hardangervidda en Norvège
que vivent ces petits êtres qu'on appelle les trolls.
A
plus de mille mètres d'altitude un oeil exercé peut apercevoir ces
foldingues espiègles et pétulants, sautant comme des puces au bord
du lac de Ringedalsvatnet
où ils viennent lever leurs filets de pêche à la lueur de la lune.
Si
la truite s'attrape au filet, le troll s'attrape à la lampe halogène
ou au phare de voiture car exposé directement à la lumière crue il
est bien vite pétrifié en nain de jardin à moins qu'il n'explose
avant.
J'avais
donc dû en faire éclater une bonne douzaine avant de réussir à en
pétrifier un.
Si
le Nokken – créature visqueuse – vit en bordure des lacs de
montagnes, la Huldra – sublime et fascinante tentatrice – séduit
les garçons imprudents pour les attirer au fond des bois et leur
pomper leur énergie vitale.
Si
ce n'est cette queue de vache qui orne son popotin, la Huldra n'a
rien à envier à la gent féminine et c'est bien ça le danger.
Le
Nokken que j'avais attrapé dans le faisceau de ma lampe avait
seulement trois doigts et un pouce aux mains et aux pieds, un grand
nez crochu et une queue en broussaille.
Ce
farfadet avait sa place toute trouvée dans mon jardin entre une
Venus de Milo bradée chez Emmaüs et un Bouddha en soldes de chez
Truffaut... mais maintenant il me fallait une farfadette.
Celle
que je poursuivais ce soir-là de ma flamme – une puissante torche
Duracell multifonctions – devait être la plus naïve des Huldra
car au lieu de se diriger vers la forêt où elle aurait pu me nuire,
elle ne songeait qu'à courir après un bouc bourru qui s'abreuvait
au bord du lac.
Les
trolls ont cette fâcheuse manie de harceler les boucs bourrus qui ne
leur ont rien fait et qui de surcroit sentent très mauvais.
Quand
elle fut happée par le faisceau de la lampe, je pus voir sous une
frange d'un roux flamboyant qu'elle avait trois yeux, ce qui ne
gâchait rien car ils étaient tous très beaux... l'un bleu au
beurre noir, l'autre marron-noisette et le dernier vert-de-gris !
“Ne
faites pas attention à ça” minauda t-elle en cachant
maladroitement sa queue de vache derrière elle; cette Huldra n'avait
pas l'air effarouchée.
Je
détournai le faisceau afin d'éviter l'explosion, curieux de pouvoir
échanger avec une de ces créatures qu'on disait sournoises:
”Comment t'appelles-tu?” lui demandai-je, sur mes gardes.
L'oeil
vert-de-gris se mit à briller :”Je suis l'épouse des forêts,
beau gosse et je n'ai d'autre blaze que celui que vous voudrez bien
m'offrir”.
“Que
dirais-tu de Else?” proposai-je.
L'oeil
bleu au beurre noir s'éclaira.
”What
Else?” explosa-t-elle dans un éclat de rire.
J'ignorais
que les publicités pour le café sévissaient aussi en Norvège.
Cette
Huldra avait un humour et un modernisme qui me subjuguaient et
m'inquiétaient tout à la fois... je devais me méfier.
“Comment
peux-tu connaître ça?” lui demandai-je, interloqué.
L'oeil
vert-de-gris brillait :”Je l'ai vu sur une face de bouc... tous les
trolls ont une face de bouc et en Hardangervidda on a une application
pour ça”.
J'étais
en train de me faire embobiner par une drôlesse connectée.
“Alors
tu seras Else” dis-je d'un ton volontaire pour couper court.
L'oeil
marron-noisette me sondait au plus profond de mon être et me mettait
mal à l'aise et si cette queue de vache n'avait pas été si
indisciplinée j'aurais fondu sur le champ devant tant d'aplomb.
Hormis
cette manie de pomper l'énergie vitale de leurs proies, on racontait
que certaines farfadettes se mettaient en tête d'épouser un garçon
pour pouvoir se marier dans une église et faire tomber cette queue
qui les distinguait des humains.
“Je
vous trouve très beau” dit-elle mais j'avais déjà entendu ça
quelque part lors d'une chasse en Roumanie et je fis mine de ne pas
avoir entendu.
“Eteins
cette lampe qui m'aveugle” dit-elle doucement en clignant des trois
yeux “nous serons tellement mieux sous la lune”.
Ce
tutoiement me fit l'effet d'un électrochoc! Mon coeur battait fort
et la torche Duracell brûlait ma main pourtant glacée.
Comme
Else avançait un pied nu vers moi, je trébuchai et – tombant à
la renverse – le faisceau de chez Duracell l'illumina, la
pétrifiant instantanément.
Else
trône au jardin avec ses trois yeux qui semblent m'observer à
chaque fois que je la regarde.
On
dit que les farfadets pétrifiés ont une âme et je veux bien le
croire.
Bon
présage ou sortilège?
Je ne saurais le dire... Else est là, c'est
tout.
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