Publié sur MilEtUne d'après le tableau de Lynch
En
éternuant je sortis la croûte de son étui poussiéreux; c'est fou
ce qu'on peut garder comme cochonneries dans un grenier familial.
Sur
mon épaule, Germaine était en train de défaillir et pour une fois
ne disait rien.
La
toile apparut et je poussai un sifflement admiratif :"Tes vieux
se sont pas fichus d'toi, ma poule"
"C'est
tout c'qui me reste d'elle" souffla t-elle et elle ajouta avant
de s'évanouir : "M'man était belle, hein ?"
Ca
ne durait jamais longtemps... dix secondes plus tard j'allais savoir
: "C'est qui qu't'appelles M'man ?"
"Ben
c'est ma mère, Paulette... ta belle-mère quoi! Tu r'connais plus ta
belle-mère ?"
J'avais
beau rassembler mes souvenirs, si j'avais eu une belle-mère comme
ça, je n'aurais sans doute pas regardé la fille donc elle n'aurait
pas pu être ma belle-mère et... tout ça m'embrouillait.
"Ta
mère ? La rousse qui pose masquée ?"
Germaine
avait vite repris des couleurs : "Mais non! Elle est en blanc
dans sa robe de mariée, celle que j'ai portée moi aussi pour notre
mariage mais Môssieur était bien trop pressé de m'la retirer pour
s'en souvenir aujourd'hui !"
Elle
sanglotait.
Là,
j'avais plus qu'à m'raccrocher aux branches pour m'enfoncer un peu
plus comme d'hab : "Maint'nant que tu l'dis, c'est vrai qu'vous
vous ressemblez... elle était vachement belle à l'époque"
C'est
vrai que le "à l'époque" était de trop mais c'est la
vérité.
"Normal"
lança t-elle "c'était la Belle Epoque"
"Et
la grande rouquine qui s'cache derrière alors ?"
"Oh
ça c'était l'Angèle Lupin, une copine d'enfance mais on n'a pas
l'droit d'en parler depuis qu'elle avait débauché mon père"
J'insistai
pourtant : "Lupin, de la famille d'Arsène Lupin ?"
Germaine
me dévisageait : "Pourquoi ? Toi aussi tu connais des Lupin ?"
"Non...
c'est juste à cause du masque, ça fait mystérieux, limite chelou"
Germaine
explosa : "Chelou ? Un Lynch chelou ? Tu réalises que t'es
devant un Lynch ?"
Je
poussai un second sifflement admiratif : "Lynch ? çui qu'a
réalisé Elephant Man ? J'te crois pas... ta mère a connu David
Lynch, elle qu'a jamais quitté Chateauroux ?"
Comme
moi, Germaine s'était arrêtée de respirer.
Elle se pencha sur
le tableau, y chercha la signature de celui qui avait immortalisé la
sublime Paulette et la mystérieuse Angèle Lupin briseuse de
couples.
"Albert
Lynch !" cria t-elle "Albert... pas David!"
J'étais
certain que Lynch se prénommait David et je sentis qu'on allait
encore se prendre la tête pour rien, déjà que son Angèle n'était
pas une vraie Lupin !
J'avais
du mal à imaginer Lynch peignant des toiles et encore moins des
modèles comme ma belle-mère et sa rivale.
Germaine
revenait à la charge : "Et mon chapeau ? Tu t'souviens d'mon
chapeau à plume ? Tu l'avais rajouté dans la corbeille avec la
jarretière pour faire monter les enchères! Dès ce jour-là j'ai
cerné le bonhomme!"
Le
bonhomme se souvenait du champagne éventé, de ses chaussures trop
neuves et de la danse des canards...
Le
bonhomme n'avait plus qu'une envie, remballer le Lynch, la
belle-doche et la rouquine ravageuse... et aller faire un tour au
parc.
Fallait
faire retomber la pression : "T'as raison ma poule, il était
doué ce Lynch mais il aurait tout aussi bien pu les filmer..."