Publié aux Défis Du Samedi sur le thème controversé du yeti
Germaine
et moi on s'était chicanés à propos du yéti qui selon moi
rapportait 13 points au scrabble alors qu'elle contestait mon 'y'...
et puis on n'en a pas reparlé jusqu'à ce foutu week-end où j'avais
emmené Madame s'oxygéner à Courchevel.
De
l'oxygène à 635€ si ça c'est pas un beau cadeau... pourtant elle
avait fait la gueule au prétexte que les pistes bleues où elle
apprend à descendre ne desservent pas le chalet où on sert le
génépi et le vin chaud à volonté !
Bref
ce soir-là je remontais de la station où j'étais allé nous
chercher deux parts de tartiflette quand je l'ai entendue hurler
avant même d'avoir ouvert la porte.
J'ai
tout juste le temps de poser mes deux parts de tartiflette, la
monnaie de mon billet de 50€ et de retirer mes après-skis, mes
gants, mon écharpe et ma parka que la voilà se traînant en
titubant vers la kitchenette, échevelée et le visage rubicond (en
un mot) comme une combinaison de moniteur de l'ESF...
"J'ai
vu le iéti ! J'ai vu le iéti !" beugle t-elle en agitant les
bras comme on a tenté de lui apprendre à le faire le matin même
pour le planter-de-bâton mais là heureusement elle a oublié les
bâtons.
Je
lui demande de s'assagir, d'adopter la position chasse-neige –
rapport au voisinage – puis de mettre des 'Y' à ses yétis pour
qu'on comprenne mieux et c'est ce qu'elle fait en s'affalant sur le
lit.
Pour
635€, n'imaginez pas qu'on puisse mettre le lit ailleurs que dans
une kitchenette, bref.
Orthographiquement
parlant, ses quatre mots se tiennent mais j'essaie de la convaincre
qu'on trouve plus surement cette bestiole sur les plateaux de
scrabble que sur ceux du Tibet, ce à quoi elle me répond "Puisque
je te dis que j'ai vu un yéti comme je te vois, en chair et en os
mais carrément plus poilu".
Le
glabre que je suis écoute attentivement la description d'un
répugnant homme des neiges – musclé comme Tarzan et à poils
comme lui, éructant un patois local – qui aurait hésité selon
Germaine entre sa vertu et un restant de reblochon abandonné sur la
table.
Je
scrute Germaine puis la table et – le restant de reblochon ayant
disparu – j'en conclus que la vertu de Germaine n'a pas souffert;
pourtant une touffe de longs poils ou plutôt de cheveux d'un roux
incertain est restée collée sur sa joue et sème le doute dans mon
esprit.
"Tu
t'es battue avec lui, c'est ça ?"
"Non!
Contre lui"
"Comment
ça, contre lui ?"
"Ben...
quand une montagne te tombe dessus, forcément tu peux pas faire
autrement qu'être tout contre"
"Et
il a eu... ce qu'il voulait, ton yéti ?"
Germaine
regarde vers la porte-fenêtre grande ouverte :"S'il n'avait pas
aimé le reblochon, j'imagine ce qu'il aurait goûté, mangé,
dégusté, dévoré, dé..."
"Ca
va, ça va... arrête d'imaginer et ne me fais surtout pas un dessin.
Dis-moi qu'il a sauté"
"Sauté
? Puisque j't'ai dit qu'il ne m'a rien fait"
Je
fulmine :"Il s'est barré par là ? Mais on est au troisième
étage"
Germaine
se recroqueville sur le lit : "Cette montagne de muscles bandés
a sauté sans élan, sans même dire au revoir"
J'explose
: "Parce qu'il t'avait dit bonjour ?"
Comme
Germaine reste muette je vais à la fenêtre.
Trois
étages plus bas dans la neige j'aperçois deux chaussures de ski
abandonnées, deux immenses paquebots rouges !
Je
reviens vers Germaine qui sanglote : "T'inquiète. Demain matin
j'irai voir à l'école de ski s'il n'y aurait pas un moniteur
rouquin qui chausse du 50..."
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