Publié aux Défis du Samedi sur le thème des bistrots
Si
le troquet s'appelait Le Café des Sports on y rencontrait plus de
pochetrons que de sportifs, des poivrots la dalle en pente et qui
marchaient au communard – un rouge-cassis pas piqué des hannetons
– dès neuf heures du matin en rabâchant les mêmes histoires de
quartier.
Le
taulier – pour ne pas dire taulard, un ancien repris de justesse
pris en flagrant débit de boisson – vivait là, planté tel un
meuble de sept heures du mat à minuit sans sourciller entre son zinc
et la machine à caoua.
Nul
doute que si son rade venait à couler il resterait le dernier à la
barre, cramponné à son tiroir-caisse comme un digne commandant de
bord.
J'avais
commandé une roteuse qui se trouva fort entamée quand Germaine fut
venue, poussant enfin la porte du boui-boui sous le regard lubrique
des pochetrons.
Je
la gratifiai d'un "Salut ma poulette" ponctué d'une main
au panier digne de la réputation de l'établissement, un troquet qui
logeait temporairement quelques "sportives"
professionnelles honteusement expropriées du bois de Vincennes...
A
vingt trois heures – heure où le loufiat filait son coup de
cachemire sur le zinc en lorgnant sur sa tocante – il est mal vu de
recommander une roteuse alors on s'est contentés de deux
marie-salopes, des vodka-jus de tomate plus vodka que tomate,
histoire de se mettre en jambes.
Je
ne fréquentais Germaine que depuis une semaine et on avait envie de
passer aux choses sérieuses après avoir épuisés les explorations
préliminaires.
A
la table voisine, un couple entre deux âges – plus près du
deuxième que du premier – noyait sa routine dans le pastaga en
remplissant un cendar de clopes à moitié grillées.
"On
va quand même pas finir comme ceux-là" me souffla Germaine en
glissant sa jambe entre les miennes.
Les
pochetrons lorgnaient grave sur les roberts de Germaine et je me
serais levé pour aller leur soigner leur strabisme si Germaine ne
m'avait entrepris l'entrejambe.
Elle
avait parait-il appris le langage des signes et parlait couramment
des deux mains depuis sa puberté.
J'avais
un besoin urgent de recharger les accus.
"On
remet ça" lançai-je au taulier trop heureux de dégourdir sa
patte folle.
Comme
Germaine filait aux gogues se refaire une beauté, le taulier revint
clopin clopant – surtout clopant – avec trois verres vu qu'il ne
perdait pas une occasion de s'en jeter un derrière la cravate en
compagnie du client.
"Aux
Marie et aux salopes" dit-il en s'envoyant la sienne d'un trait.
Il
prit pour lui les sifflets d'admiration qui ne faisaient que ponctuer
le retour de Germaine munie de ses appâts.
Il
était temps qu'on file avant que les soiffards n'aient des attaques
cardiaques en chaîne. Si le SAMU connaissait le chemin, je ne
voulais pas qu'on soient tenus responsables d'une hécatombe.
Je
gratifiai Germaine d'un "Viens ma poule, on change de crèmerie"
J'envoyai
la soudure; "T'as du pourliche ?" minauda t-elle.
"Du
pourliche, bébé ?" dis-je à la cantonade "tu crois pas
qu'tu leur en as largement refilé en nature ?"
Le
loufiat nous avait ouvert la porte, la main tendue en chistera mais
rien ne tomba, ni dix balles ni même une seule... les temps sont
durs pour tout le monde.
Dehors,
ça caillait un max et la pointe des tétons de Germaine pouvait en
témoigner; on s'engouffra à la hâte à l'Hôtel des Sports où
l'on n'y croisait guère que des "sportives"
professionnelles honteusement expropriées du bois de Vincennes...
Il
était grand temps d'aller se réchauffer sous la couette.
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