Publié aux Défis Du Samedi sur le thème instable et branlant des funambules
Quand
j'ai rencontré Germaine, elle jouait les casse-cous sur le fil à
linge de ses vieux, enjambant les culottes de mamie et les collants de
flanelle du pépé.
Moi
je faisais déjà de la mobylette sur mon vélo avec un bout de
carton et deux pinces à linge en guise de moteur.
On
avait treize ans chacun et je crois bien que c'est l'amour des pinces
à linge qui nous avait réunis... et les gamelles aussi.
On
en a pris des gadins chacun de son côté, elle dans sa buanderie à
un mètre du sol et moi dans la descente du garage qui jouxtait leur
maison.
Alors
tels deux combattants de retour du front on a commencé à comparer
nos blessures, nos genoux couronnés peints au mercurochrome, on a
confronté notre résistance à la douleur, aux machins qui piquent
et au sparadrap indécollable... et puis à force de se toucher les
genoux on est passés à autre chose, on est passés du genre
thérapeutique au genre concupiscent mais en un seul mot...
Dans
le salon des vieux de Germaine il y avait un trésor inestimable : la
première chaîne de l'ORTF et sa Piste aux Etoiles chaque mercredi
soir, alors on se délectait des trapézistes volants, des clowns
Alex et Francini et des funambules, collés-serrés sur le canapé à
s'empiffrer des carambars.
A
force de se faire des niches et des chatouilles ça dégénérait
souvent sous le plaid mais on faisait gaffe à cause de la mamie qui
nous espionnait derrière ses lorgnons en rafistolant sa pauvre corde
à linge.
Si
elle avait su qu'on avait déjà fait la chose... c'est à dire
qu'on s'était embrassés avec la langue sans respirer pendant au
moins cinq secondes !
Ainsi
j'avais connu le grand vertige, ma piste aux étoiles à moi, ma voie
lactée, cette sensation à la fois exaltante et terrifiante de
tomber dans un abîme insondable tandis que Germaine – visiblement
rompue à l'exercice – maîtrisait l'apnée en toute décontraction.
J'avais
affaire à une pro de l'équilibre, à une funambule de la râpeuse
qui prenait son pied en me laissant pantelant après l'exercice.
Germaine
montrait des dispositions précoces à en juger par les anecdotes que
me racontait Bébert, un voisin de quatorze ans qui se l'était
"faite" l'année d'avant.
Il
faut dire que pour une future funambule, elle avait déjà le mollet
dur et la fesse ferme, autant qu'elle me laissait en juger.
Combien
de fois remit-elle dans le droit chemin une main exploratrice par
trop aventureuse qui s'évertuait à chercher l'origine du monde...
Faut
dire que j'ai toujours été un manuel mais à cet âge on est plus
système D que point G.
Elle
ne voulait pas d'enfant avant ses seize ans ce qui m'arrangeait bien
car j'avais encore de l'occupation à perfectionner mon moteur de
mobylette à pinces à linges.
Comme
j'étais prêt d'aboutir dans mon projet d'augmentation de cylindrée,
Germaine choisit ce tournant crucial dans ma carrière pour tomber
amoureuse... de Zavatta ! Elle comptait même le suivre en Russie où
il partait en tournée avec le Cirque français et sa troupe de
voltigeurs.
La
mamie à la corde à linge ayant haussé les épaules, j'en conclut
qu'il ne s'agissait que d'une passade comme doivent souvent en avoir
les filles et qu'il me suffirait simplement d'être patient.
Quant
à la suite, certains la connaissent... les autres devront patienter
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire