samedi 17 mars 2018

Rince-bouteille

Publié aux Défis Du Samedi à la gloire de l'écouvillon




Au bourg tout le monde l'appelait Rince-bouteille à cause que son nom c'était Goupillon, Ernest Goupillon de la dynastie des Goupillon, une grosse famille de viticulteurs qui refoulait du goulot et crachait à dix pas mais pétait dans la soie les jours de la saint Vincent tournante.

Fallait le voir l'Ernest sauter sur le cheptel féminin, frémissant du hérisson et jamais avare de flatteries; pourtant certaines disaient qu'il s' y prenait comme un manche et que son bidule tenait plus de la queue-de-renard que de la tête-de-loup.
Personnellement je n'en savais rien car je n'avais fréquenté l'Ernest qu'à l'école primaire à l'heure où on joue à celui qui pissera le plus haut mais sans jamais montrer la Chose à l'adversaire.

L'affaire avait fait grand bruit quand il avait engrossé la Jeanne, la fille du maire – nous on disait la dame-Jeanne à cause qu'elle était dix fois plus dodue que les autres – et les Goupillon réunis en commission extraordinaire avaient dû négocier le "torpillage" du futur bâtard auprès du maire qui depuis ce jour roulait avec madame le maire en cabriolet Citroën DS !
La dame-Jeanne était restée en carafe quelque temps histoire de décanter son amertume pour entrer finalement chez les petites soeurs de la Providence où elle aurait tout loisir de maudire l'Ernest et son hérisson fouineur.
Et puis un beau jour elle a débarqué, celle qui allait le soumettre, le dompter, lui faire traîner la langue par terre et embobiner dans son sillage capiteux toute la dynastie Goupillon.
Certains disaient qu'elle avait perverti le père, l'oncle et même la mère, mais ce sont les jaloux qui disent ça, tous ceux qui auraient aimé avoir chez eux cette callipyge beauté sortie d'on ne sait où, capable de créer un embouteillage dans un village où il n'y a que cinq voitures dont le cabriolet du maire, capable de faire sonner trois fois l'angelus au bedeau rien qu'en passant devant l'église mais surtout capable de dilapider tout un patrimoine ...
On n'avait jamais rien vu ici d'aussi bien carrossé depuis cette "Sugar" dans Certains l'aiment chaud projeté en 65 à la salle paroissiale, d'ailleurs elle se prénommait Marylin sans le 'e' comme aux Amériques!

Rince-bouteille avait pris un teint rubicond et l'air idiot des amoureux éperdus jusqu'à ce qu'ils officialisent leur union et que la callipyge beauté devienne Marylin Goupillon de la dynastie Goupillon; là, il devint encore plus cramoisi et plus idiot tandis que la cave commençait à se vider de ses meilleurs crus.
Non pas que la belle eut le gosier en pente autant que sa chute de reins mais à cause de cette camionnette qui partait la nuit pour Paris avec des caisses de précieux nectars, des Vosne Romanée, des Corton, des Chambertin et autres petits-Jesus-en-culotte-de-velours... mais ce sont les jaloux qui disent ça, ceux qui n'en ont jamais eu et n'en auront jamais dans leur cave.

Pourtant à mesure que les caves se vidaient, Rince-bouteille pâlissait et chacun comprit que pour la bagatelle, l'Ernest devait se brosser.
Il s'en était ouvert en confession au jeune curé qui l'avait chuchoté aux bigotes qui l'avaient claironné au café des Sports et ainsi dans chaque oreille que comptait notre bourg.
Rince-bouteille dépérissait et ni les ventouses ni les cataplasmes de moutarde Grey Poupon et moût de raisin du Docteur Rougeot ne lui rendirent son teint d'amoureux transi.
Les mêmes bigotes racontaient que "la sorcière" – comme elles l'appelaient – avait envoûté le presbytère et son jeune curé, mais ce sont les jalouses qui disent ça, celles qui n'ont pas connu le loup et qui mouillent leurs dessous à l'eau bénite.

L'Ernest eut des funérailles nationales enfin... cantonales avec procession, ostensoirs et des cierges gros comme... comme il aurait rêvé d'en avoir un mais ce sont les jaloux, les peine-à-jouir qui disent ça.
Dans le cortège certains crurent reconnaître soeur Jeanne, sortie de son couvent de la Providence pour la circonstance, marmonnant et maudissant feu l'Ernest et son hérisson désormais en deuil.

Sur le caveau familial au devant de la plaque d'Ernest Goupillon, un petit malin ou une friponne avait déposé un pot de Callistemon citrinus aux fleurets d'un rouge flamboyant – comme qui dirait chez nous un rince-biberon – mais faute d'arrosage cette métaphore vivace se dessécha avant l'automne.

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