Publié aux Défis Du Samedi à la gloire de l'écouvillon
Au
bourg tout le monde l'appelait Rince-bouteille à cause que son nom
c'était Goupillon, Ernest Goupillon de la dynastie des Goupillon,
une grosse famille de viticulteurs qui refoulait du goulot et
crachait à dix pas mais pétait dans la soie les jours de la saint
Vincent tournante.
Fallait
le voir l'Ernest sauter sur le cheptel féminin, frémissant du
hérisson et jamais avare de flatteries; pourtant certaines disaient
qu'il s' y prenait comme un manche et que son bidule tenait plus de
la queue-de-renard que de la tête-de-loup.
Personnellement
je n'en savais rien car je n'avais fréquenté l'Ernest qu'à l'école
primaire à l'heure où on joue à celui qui pissera le plus haut
mais sans jamais montrer la Chose à l'adversaire.
L'affaire
avait fait grand bruit quand il avait engrossé la Jeanne, la fille
du maire – nous on disait la dame-Jeanne à cause qu'elle était
dix fois plus dodue que les autres – et les Goupillon réunis en
commission extraordinaire avaient dû négocier le "torpillage"
du futur bâtard auprès du maire qui depuis ce jour roulait avec
madame le maire en cabriolet Citroën DS !
La
dame-Jeanne était restée en carafe quelque temps histoire de
décanter son amertume pour entrer finalement chez les petites soeurs
de la Providence où elle aurait tout loisir de maudire l'Ernest et
son hérisson fouineur.
Et
puis un beau jour elle a débarqué, celle qui allait le soumettre,
le dompter, lui faire traîner la langue par terre et embobiner dans
son sillage capiteux toute la dynastie Goupillon.
Certains
disaient qu'elle avait perverti le père, l'oncle et même la mère,
mais ce sont les jaloux qui disent ça, tous ceux qui auraient aimé
avoir chez eux cette callipyge beauté sortie d'on ne sait où,
capable de créer un embouteillage dans un village où il n'y a que
cinq voitures dont le cabriolet du maire, capable de faire sonner
trois fois l'angelus au bedeau rien qu'en passant devant l'église
mais surtout capable de dilapider tout un patrimoine ...
On
n'avait jamais rien vu ici d'aussi bien carrossé depuis cette
"Sugar" dans Certains l'aiment chaud projeté en 65 à la
salle paroissiale, d'ailleurs elle se prénommait Marylin sans le 'e'
comme aux Amériques!
Rince-bouteille
avait pris un teint rubicond et l'air idiot des amoureux éperdus
jusqu'à ce qu'ils officialisent leur union et que la callipyge
beauté devienne Marylin Goupillon de la dynastie Goupillon; là, il
devint encore plus cramoisi et plus idiot tandis que la cave
commençait à se vider de ses meilleurs crus.
Non
pas que la belle eut le gosier en pente autant que sa chute de reins
mais à cause de cette camionnette qui partait la nuit pour Paris
avec des caisses de précieux nectars, des Vosne Romanée, des
Corton, des Chambertin et autres
petits-Jesus-en-culotte-de-velours... mais ce sont les jaloux qui
disent ça, ceux qui n'en ont jamais eu et n'en auront jamais dans
leur cave.
Pourtant
à mesure que les caves se vidaient, Rince-bouteille pâlissait et
chacun comprit que pour la bagatelle, l'Ernest devait se brosser.
Il
s'en était ouvert en confession au jeune curé qui l'avait chuchoté
aux bigotes qui l'avaient claironné au café des Sports et ainsi
dans chaque oreille que comptait notre bourg.
Rince-bouteille
dépérissait et ni les ventouses ni les cataplasmes de moutarde Grey
Poupon et moût de raisin du Docteur Rougeot ne lui rendirent son
teint d'amoureux transi.
Les
mêmes bigotes racontaient que "la sorcière" – comme
elles l'appelaient – avait envoûté le presbytère et son jeune
curé, mais ce sont les jalouses qui disent ça, celles qui n'ont pas
connu le loup et qui mouillent leurs dessous à l'eau bénite.
L'Ernest
eut des funérailles nationales enfin... cantonales avec procession,
ostensoirs et des cierges gros comme... comme il aurait rêvé d'en
avoir un mais ce sont les jaloux, les peine-à-jouir qui disent ça.
Dans
le cortège certains crurent reconnaître soeur Jeanne, sortie de son
couvent de la Providence pour la circonstance, marmonnant et
maudissant feu l'Ernest et son hérisson désormais en deuil.
Sur
le caveau familial au devant de la plaque d'Ernest Goupillon, un
petit malin ou une friponne avait déposé un pot de Callistemon
citrinus aux fleurets d'un rouge flamboyant – comme qui dirait chez
nous un rince-biberon – mais faute d'arrosage cette métaphore
vivace se dessécha avant l'automne.
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