Publié aux Impromptus Littéraires sur le thème de la rumeur
Dans
mon immeuble j'exerce le plus vieux média du monde, je suis un
colporteur 2.0, un convoyeur de bruits d'escalier, celui qu'on
appelle respectueusement Monsieur On-dit quand on le croise dans les
étages à la recherche du dernier scoop ou de son démenti.
Je
suis la rumeur incarnée, un ubérisé du ouï-dire mais attention je
contrôle, je manage avec rigueur car si les faits sont parfois
trompeurs la rumeur pourrait l'être encore plus si l'on n'y prenait
garde.
Je
vous livre un exemple à condition que vous l'ébruitiez: Un de nos
voisins a découvert que l'étudiante qui vit au cinquième ferait
cuire ses popcorns grâce aux ondes de son téléphone portable et
empesterait la cage d'escalier... et bien je suis allé moi-même
vérifier.
C'est
vrai, en tout cas il y avait une sacrée friture sur sa ligne !
Par
contre le même voisin disait qu'elle faisait appel à une mère
porteuse pour monter son caddie jusqu'au cinquième étage et ça
c'est faux puisque c'est moi qui monte son caddie – en échange
elle me fait des popcorns et d'autres trucs que je ne peux pas dire
pour éviter de faire jaser – et pourtant je ne suis pas mère
porteuse.
Par
contre Fernando le concierge de l'immeuble pourrait le faire
puisqu'il est lesbienne comme Sheila et n'en déplaise à ceux qui
racontent qu'elle serait un homme.
Pour
Sheila je n'ai pas été mandaté pour vérifier car je travaille au
mandat – c'est dans la Charte de "Rumor and Co" mon
employeur – mais concernant notre concierge, je tiens l'information
avérée de ses "copines" du club de bridge; elles m'ont
avoué qu'il souffrirait d'un syndrome du collant irritable... si ça
c'est pas une preuve de sa bisexualité!
Ce
mois-ci on m'a confié une enquête aussi pointue que confidentielle
sur un dénommé Justin Bieber qui brûlerait tous les sous-vêtements
qu'il a portés pour éviter leur vol, l'extraction de son ADN, une
procréation sauvage et une progéniture indésirable avec demande de
pension alimentaire et tout le toutim...
Je
ne connais pas ce Justin mais j'imagine que ça ne doit pas sentir
bon dans son dressing; je jubile quand ça sent la rumeur comme ça,
une bonne grosse odeur de cramé qui envahit les cages d'escalier et
fait sortir les locataires sur leur palier.
Notre
devise c'est "Toujours de bonne rumeur"; entre colporteurs
on se les échange à condition qu'elles soient fondées et d'égale
importance.
Je
prétends que ça n'est pas un métier mais une vocation.
Comment
feraient tous ces gens si on n'était pas là pour recadrer ce qu'ils
nomment des fake news ?
J'ai
entendu dire qu'on aurait inventé un générateur automatique de
vraies rumeurs, ILS veulent appeler ça l'information ! Mais
qu'est-ce qu'ILS veulent ? La disparition de notre beau métier ?
Je
revois encore leurs tronches de cake quand je leur ai appris que Paul
MacCartney est mort alors que Michael Jackson est bien vivant.
D'abord
si Michael Jackson était mort, ça se saurait; c'est comme si on
racontait que le prix du tabac va grimper, qu'il y a une tour Eiffel
à Las Vegas ou que George Clooney n'est pas gay !
Chez
Rumor and Co on sait que c'est faux et que son "Ouatelse"
n'est autre que le petit nom qu'il donne à Brad Pitt dans
l'intimité, mais n'allez pas répéter ça partout car c'est mon job
et je ne tiens pas à ce qu'on déforme mes propos.
Voilà
maintenant trois jours que Germaine n'est pas rentrée à l'appart et
je devine ce que pensent mes voisins dans leurs regards fuyants... il
est grand temps que j'y mette bon ordre avant que ça jase; ce n'est
pas parce que je monte le caddie d'une petite étudiante qui s'éclate
aux popcorns sur son smartphone...
D'ici
à ce qu'on raconte que Germaine est partie voir sa mère souffrante,
il n'y a pas loin alors que je suis malheureusement le mieux placé
pour affirmer que sa mère nous enterrera tous.
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