Publié sur le site MilEtUne d'après l'illustration
Félix
ne dormait pas.
C'était
toujours ainsi à chaque veille d'intronisation.
Demain
il y aurait un banquet, un de plus, une réception en l'honneur des
Chevaliers du Pignon Fixe, une armée de pédaleurs assoiffés qu'il
lui faudrait arroser au cassis-champagne avant d'être adoubé avec
une pompe à vélo!
Seigneur
Dieu !
Chaque
insomnie l'amenait irrémédiablement à la cave où – coiffé de
son bonnet de nuit et chaussé d'une des nombreuses paires de
lunettes qu'il abandonnait ça et là – il refaisait son
inventaire.
Il
est des régions de France où on peut tout à la fois être
chanoine, maire d'une grande ville et amateur de bons vins sans
défrayer la chronique.
On
disait que sa mairie était le plus grand débit de boissons de la
Ville mais il préférait ça à cette sombre rumeur de pédophilie
qui sourdait et qui éclaterait au grand jour un siècle plus tard.
Il
en avait rincé des gosiers entre associations de tous poils, clubs
sportifs, hommes politiques, vedettes sans compter cette jeunesse
dont on voyait « rougir la trogne », qui roulait sous la
table et confondait Saint Vincent tournante et partouze...
Du
coup sa pile de champagne était encore descendue d'un bon mètre.
Etait-ce
un effet divin ou bien la buée sur ses verres, il buta sur une
caisse d'aligoté, écrasant à la fois son gros orteil et un juron
où figurait le Bon Dieu.
Un
éclair fulgurant illumina la voûte sombre au point qu'il tomba à
genoux, serrant « religieusement » sa bouteille de crème
de cassis de Dijon à 20°.
La
main divine guidait sa main et le premier bouchon d'aligoté sauta
joyeusement...
Un
quart de cassis, trois quarts d'aligoté... non... trop acide pensa
t-il en
faisant
claquer cette langue qu'il avait souple et bien pendue.
N'avait-il
pas répondu récemment à celui qui lui reprochait de croire en Dieu
sans jamais l'avoir vu « Mon cul, tu l'as pas vu et pourtant il
existe ! »
Un
tiers de cassis, trois tiers d'aligoté... non... quatre tiers,
c'était un sacrilège, un affront aux lois de la mathématique !
Un
deuxième bouchon sauta, embuant un peu plus ses verres de lunettes.
Un
tiers de cassis, deux tiers d'aligoté... Son « Nom de Dieu »
résonna sous la voûte ancestrale.
Il
tenait l'accord parfait, ni trop acide ni trop sucré, une potion qui
allait ravir les palais les plus retors.
Il
s'en resservit un verre avec les mêmes proportions, pour être
certain.
A
quoi bon pinailler en pleine Création ?
Le
Tout Puissant avait-il autant joui en créant ses deux premiers
bipèdes ?
Il
tenait là le petit Jésus en culotte de velours, n'en déplaise au
très Haut.
Demain
à l'heure de l'intronisation, les amoureux de la petite reine
chercheraient les bulles dans leur traditionnel blanc-cass ; il
seraient les premiers à déguster son... comment l'appellerait-il ?
Kir...
comme lui... un Kir
J'ai rencontré à Chalon (sur Saône, bien entendu) un autochtone qui avait demandé à un sien cousin, vigneron à Meursault, de lui filer quelques bouteilles d'Aligoté et qui s'était vu répondre "L'aligoté ne vaut pas la bouteille pour le mettre dedans !". On comprend mieux pourquoi il y faut une solide dose de cassis.
RépondreSupprimerIl est vrai que ce n'est pas le fleuron des cépages !
SupprimerC'est ce qu'il avait l'air de dire, mais bon, c'était il y a longtemps, il s'est peut-être amélioré... ;-)
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