dimanche 21 octobre 2018

Nom de Dieu

Publié sur le site MilEtUne d'après l'illustration




Félix ne dormait pas.
C'était toujours ainsi à chaque veille d'intronisation.
Demain il y aurait un banquet, un de plus, une réception en l'honneur des Chevaliers du Pignon Fixe, une armée de pédaleurs assoiffés qu'il lui faudrait arroser au cassis-champagne avant d'être adoubé avec une pompe à vélo!
Seigneur Dieu !
Chaque insomnie l'amenait irrémédiablement à la cave où – coiffé de son bonnet de nuit et chaussé d'une des nombreuses paires de lunettes qu'il abandonnait ça et là – il refaisait son inventaire.
Il est des régions de France où on peut tout à la fois être chanoine, maire d'une grande ville et amateur de bons vins sans défrayer la chronique.
On disait que sa mairie était le plus grand débit de boissons de la Ville mais il préférait ça à cette sombre rumeur de pédophilie qui sourdait et qui éclaterait au grand jour un siècle plus tard.
Il en avait rincé des gosiers entre associations de tous poils, clubs sportifs, hommes politiques, vedettes sans compter cette jeunesse dont on voyait « rougir la trogne », qui roulait sous la table et confondait Saint Vincent tournante et partouze...
Du coup sa pile de champagne était encore descendue d'un bon mètre.
Etait-ce un effet divin ou bien la buée sur ses verres, il buta sur une caisse d'aligoté, écrasant à la fois son gros orteil et un juron où figurait le Bon Dieu.
Un éclair fulgurant illumina la voûte sombre au point qu'il tomba à genoux, serrant « religieusement » sa bouteille de crème de cassis de Dijon à 20°.
La main divine guidait sa main et le premier bouchon d'aligoté sauta joyeusement...
Un quart de cassis, trois quarts d'aligoté... non... trop acide pensa t-il en
faisant claquer cette langue qu'il avait souple et bien pendue.
N'avait-il pas répondu récemment à celui qui lui reprochait de croire en Dieu sans jamais l'avoir vu « Mon cul, tu l'as pas vu et pourtant il existe ! »

Un tiers de cassis, trois tiers d'aligoté... non... quatre tiers, c'était un sacrilège, un affront aux lois de la mathématique !
Un deuxième bouchon sauta, embuant un peu plus ses verres de lunettes.
Un tiers de cassis, deux tiers d'aligoté... Son « Nom de Dieu » résonna sous la voûte ancestrale.
Il tenait l'accord parfait, ni trop acide ni trop sucré, une potion qui allait ravir les palais les plus retors.
Il s'en resservit un verre avec les mêmes proportions, pour être certain.
A quoi bon pinailler en pleine Création ?
Le Tout Puissant avait-il autant joui en créant ses deux premiers bipèdes ?
Il tenait là le petit Jésus en culotte de velours, n'en déplaise au très Haut.
Demain à l'heure de l'intronisation, les amoureux de la petite reine chercheraient les bulles dans leur traditionnel blanc-cass ; il seraient les premiers à déguster son... comment l'appellerait-il ?
Kir... comme lui... un Kir

3 commentaires:

  1. J'ai rencontré à Chalon (sur Saône, bien entendu) un autochtone qui avait demandé à un sien cousin, vigneron à Meursault, de lui filer quelques bouteilles d'Aligoté et qui s'était vu répondre "L'aligoté ne vaut pas la bouteille pour le mettre dedans !". On comprend mieux pourquoi il y faut une solide dose de cassis.

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    1. Il est vrai que ce n'est pas le fleuron des cépages !

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    2. C'est ce qu'il avait l'air de dire, mais bon, c'était il y a longtemps, il s'est peut-être amélioré... ;-)

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