samedi 10 novembre 2012

Castor

 
 
 
 
 
Elle était déjà penchée depuis une bonne heure sur la baignoire à essayer d'enlever d'affreuses taches de moisissures d'un joint qui avait jadis été blanc quand elle poussa un cri sauvage comme elle sait en pousser quand on lui résiste!
J'aurais pu continuer à l'admirer comme ça longtemps en train de s'affairer, la croupe frétillante et les reins cambrés avec ce si joli désordre dans son 'chignon de ménage' et ses bras nus qui... s'il n'y avait eu ce cri sauvage: “J'en ai marre! Tu vas me virer tout ça, mon castor!!”
Quand elle m'appelle son Castor, je ne pense pas à ce charmant rongeur-ingénieur au poil rude et à queue plate mais plutôt à une maxi surface de bricolage où y parait qu'y a tout-ce-qu'y-faut-comme-dans-une-maxi-surface.
 
Passé le rituel qui consiste à bomber le torse en remontant ses manches d'un air suffisant – ce que j'ai appris à faire depuis notre mariage et quand j'ai des manches – je filai dare-dare chercher le matos dans ma caisse à outils c'est à dire chez Mimile puisqu'elle est plus utile chez lui que chez nous.
Comme Mimile s'était absenté pour cause d'absence, sa femme me dépanna d'un cutter et d'un tube de dentifrice que les pros appellent 'mastic aussi licorne'.
 
Encouragé par le sourire bienveillant de ma chérie – alanguie dans le canapé en compagnie d'un Closer – je m'attaquai au joint ou plutôt à une espèce de chewing-gum gluant et nauséabond comme en ont tous ceux qui ont la chance d'héberger une baignoire chez eux!
Quiconque a déjà pêché l'anguille comprendra la lutte qui s'ensuivit et bien que le cutter fut coupant – très coupant – le joint n'était pas complètement mort et bien décidé à défendre chèrement sa peau.
Dans la bagarre quelques morceaux de lame cassèrent sans entamer mon moral, juste quelques bouts de doigt vite pansés par ma chérie reconvertie en secouriste premier niveau.
Centimètre par centimètre et sparadrap par sparadrap je gagnais du terrain, jetant un cri de victoire avec chaque lambeau de caoutchouc synthétique au fond de la baignoire rougie de mon sang.
Il en faut bien plus pour vaincre Castor.
 
Au train où j'allais, ma secouriste pouvait espérer prendre un bain dans vingt quatre heures pour respecter le temps de séchage du futur joint de 'mastic aussi licorne'.
J'allais venir à bout des dix derniers centimètres de sparadrap joint sous le regard admirateur de mon assistante quand le cutter nous lâcha dans un terrible “Cling” qui m'envoya au tapis... de bain!
Dans ces rares moments-là j'ai en réserve une belle collection d'onomatopées qu'il serait ennuyeux d'exposer ici, aussi me contenterai-je d'un “@#&&§ “.
A cet instant j'ai compris qu'il était temps de sortir le grand jeu et mon petit  Opinel...
 
 
 
 
Ici on me traite bien, l'infirmière est une vraie professionnelle et répond à presque tous mes désirs.
Il parait que demain, si mes hématomes se résorbent et que mes coupures cicatrisent j'aurai le droit de prendre une douche avec une Charlotte, non pas l'infirmière, juste un bonnet jetable à élastique.
Ma chambre particulière – je dis ma chambre car j'exige celle-ci à chaque fois - est très cosy avec une nouvelle douche à l'italienne et un carrelage en grès; ils ont probablement mis du joint de chez Burson... il faudra que j'en discute demain avec l'infirmière.
Mon Castor est devenu Mon Chouchou d'Amour... j'ai l'habitude, c'est comme ça qu'elle m'appelle quand elle vient me voir et m'apporter mes revues préférées, mes Bricolage Magazine.  
 
 

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