![]()  | 
| Le lac des Settons | 
Le Pouvoir est né en Août 1954, c'était le 12 du mois et ça tombait un jeudi. Fallait déjà avoir le sens du devoir pour naître un jeudi, jour sans école car - faute de mieux - l'instituteur filait parfois un coup de main pour les accouchements. Je suppose qu'il naquit rose et joufflu comme un pouvoir naissant et comme bien des bébés, en tout cas moi j'avais été rose et joufflu avant Lui.
Oh
 je n'en tire aucune gloire car ce qui faisait ce mince
    avantage entre moi et le Pouvoir, c'était uniquement la rapidité 
avec laquelle mes vieux avaient fait pousser la petite graine, décoller 
la cigogne ou pousser le chou, enfin c'est ce qu'on me
    racontait de la Chose.
  
Si
 je m'en souviens comme quand j'avais sept ans, c'est
    parce que j'allais avoir sept ans dans trois mois, l'âge où du haut 
de son pédalo on scrute l'horizon tel un vaillant capitaine à la 
recherche d'un bateau pirate à saborder ou d'une sublime
    naufragée à secourir.
  
Si bien que j'ai été capitaine de pédalo bien avant le
    Pouvoir! Aujourd'hui quand j'y repense ça me file le
    virot - pas le mal de mer, le virot - tant je suis passé près de la gloire et des honneurs sans m'en rendre compte.
  
A
 l'époque les capitaines de pédalo n'avaient pas la
    notoriété d'aujourd'hui ni la faveur des médias et l'océan qui 
s'ouvrait devant moi s'appelait le lac des Settons - on dit les Cheutons
 chez les bourguignons - et mes seuls faits d'arme furent
    les saumons de fontaine qui frétillaient au bout de ma gaule et 
surtout ramener la Fernande au bord sans qu'elle gauge sa jolie robe du 
dimanche.
  
Rien à voir avec le Pouvoir qui apprit à virer à
    l'Optimist dès qu'il fut en âge de naviguer et qui rame d'ailleurs encore aujourd'hui...
  
En
 54 j'étais marin d'eau douce et mon super-héros
    s'appelait Archibald Haddock, capitaine de la marine marchande belge
 (parfaitement, 70 kilomètres de côtes suffisent à posséder une 
marine!). J'ai encore du mal à réaliser que Haddock baladait la
    Castafiore en DS19 tandis que le Pouvoir tétait sa mère rue des 
Carmes à Rouen.
  
Moi je tétais déjà du Gevrey-Chambertin - puisque j'étais
    né sur une autre Côte liquide - et en douce un peu de Meursault les jours de la saint Vincent tournante.
  
C'était dit-on l'année des François puisqu'un certain
    Fillon naquit cinq mois avant le Pouvoir et précisément là où j'habite aujourd'hui !
  
A
 l'époque un autre François - celui de Jarnac - causait
    dans la TSF, c'était ce ministre de l'intérieur qui dépêcha 3 
compagnies de CRS - car ça existait déjà - pour juguler ce qu'on appela 
très vite la guerre d'Algérie et qui dura pas moins de 8
    ans.
  
Avant les “évènements” je ne connaissais de l'Algérie que
    le Sidi Brahim d'un propriétaire algérois venu faire le courtier à Mâcon.
  
A
 sept ans on s'imagine que le Pouvoir appartient aux
    audacieux capables de traverser la grande bleue pour venir faire des
 affaires sur nos terres et dans nos vignes! Je me doutais déjà que mon 
pédalo ne ferait pas le
    poids.
  
Aux
 déclarations du François de la TSF, je préférais le
    Quitte ou Double et les feuilletons beaucoup plus rigolos de Zappy 
Max, comme le “ça va bouillir” sponsorisé par la toute puissante lessive
 Sunil (où va donc se nicher le
    Pouvoir).
  
Je crois que c'est dans les années 60 que mon destin
    s'est scellé: entre Pouvoir et rigolade, j'ai choisi de rigoler.
  
Le Pouvoir nouvellement né devait avoir dans les 6 ans,
    premier de la classe à l'école élémentaire où la leçon de morale débutait par le traditionnel “Asseyez-vous! Bras croisés”.
  
J'avais
 pratiqué avant lui le “Bras croisés” mais comme
    je rigolais un peu trop fort, je connus aussi cette lancinante 
douleur à la tempe quand on vous tire sournoisement les petits cheveux, 
les mêmes que les vieux vous tirent une seconde fois à la
    maison pour faire bonne mesure.
  
Je
 crois que le Pouvoir n'était pas du genre à se faire
    tirer les cheveux et j'imagine que ça suffit pour faire une belle 
différence entre Lui et moi, de même que mes copines se prénommaient 
Martine, Nathalie ou Brigitte et pas
    Ségolène.
  
J'ai
 même fréquenté Léna qui venait d'un lointain pays de
    l'Est mais ce qu'elle m'apprit n'avait rien à voir avec la Grande 
Ecole du Pouvoir où les “cuvées” d'exception se suivent et se 
ressemblent.
  
Lui
 connut le sabre et le casoar de Saint-Cyr Coëtquidan,
    moi les rangers et le casque lourd de Rastatt en Allemagne... déjà 
le Pouvoir se distinguait par le simple déguisement du bidasse.
  
Sa devise fut “Ils s'instruisent pour vaincre” et la
    mienne “La quille, Bordel”.
  
Le
 Pouvoir écoutait Léo Ferré et moi Black Sabbath, il
    arrosait ses vacances au Chignin rouge et moi au Passetoutgrain. 
Comment aurai-je pu encore rivaliser si j'en avais eu le désir?
  
De
 nos jours la technique du “Bras croisés” s'est perdue,
    remplacée par celle du doigt d'honneur qui permet en même temps de 
touiter sur son smartphone tout en se roulant un joint... et je ne parle
 même pas de la quenelle.
  
Le
 pouvoir du maître s'est cassé la gueule de l'estrade,
    sapé par ceux qui font leur loi près du radiateur et compliquent 
sérieusement la tâche du malheureux qui tente de gouverner ou du moins 
de garder un semblant d'autorité.
  
Si on m'offrait aujourd'hui le siège du pédalo et les
    galons du capitaine, je sais que je refuserais.
  
Mon lac des Settons est devenu une mer agitée aux
    courants sournois où quelques rares carnassiers, sandres ou brochets y bouffent ce qui reste des plus petits.
  
J'imagine que la Fernande doit faire cent vingt kilos,
    qu'elle regarde les Feux de l'amour et de toute façon je ne pédale plus comme avant.
  
Il
 me reste de cette période comme une amertume en
    bouche, un goût austère, astringent, l'étrange sensation d'avoir 
frôlé le Pouvoir à l'âge où tout paraissait possible quand le soleil 
vous allume le grès couleur miel d'un château entouré des
    treilles prometteuses d'un grand cru...
  

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire