J'ai failli m'étouffer quand il a dit qu'il s'appelait Ivan
Détapi.
J'étais
le premier à l'ouverture du Mondial de la Locomotion de 1880 à
Moscou et aussi son premier client, alors j'ai eu droit au grand jeu
avec salamalecs, tapis rouge “cochenille” et tout le toutim.
Le message était clair, brodé en lettres d'or sur un grand
calicot:”Chez Ivan Détapi, que des tapis persans, pas de tapis percés!”.
D'emblée il me proposa une reprise pour le mien, comme si le mien était
troué!
Comme
je déclinais il s'embarqua dans des détails techniques “coton” sur la
chaîne et la trame, les franges tressées et les noeuds asymétriques,
auxquels je ne comprenais rien vu que le mien était des années
soixante, enfin... 1860.
Puis il m'entraîna devant un bolide rouge “garance” aux motifs floraux
safranés... un dix mille noeuds au décimètre carré qui montait soi-disant à deux cent à l'heure en quinze secondes!
Moi, j'en voulais juste un qui attire l'oeil des vierges sur mon passage,
qui soit doux au toucher avec une bonne odeur de chèvre bien nourrie.
Je me fichais pas mal de ce grand coffre en plein milieu qu'il appelait une
“boîte auto”.
Son bolide était un bijou de deux canassons fiscaux avec parait-il deux
“air” bagues, mais le mariage ne m'interessait pas, seulement la conquête féminine et l'envie de voir du pays.
“Vous, vous cherchez un aspirateur à mousmé” me souffla t il à
l'oreille avec un clin d'oeil lubrique.
J'ai toujours eu horreur des gens qui cherchent à me brosser dans le sens
du poil et j'ai commencé à lorgner vers les stands concurrents.
Il
y avait du berbère, de l'arménien et même du pakistanais, des tapis à
l'odeur bizarre - sans doute des trucs à fumer - des tapis
psychédéliques avec des étoiles, des rosaces, des vases et même des
scènes de chasse, des jaguars avec un grand “J” lumineux en forme de
cimeterre!
Pendant ce temps, Ivan rongeait son frein.
“J'ai ce qu'il vous faut” a t il crié en me secouant comme un
figuier “un vénitien, une seconde main conduite par Kazanova
lui-même et qui vous donnera toute satisfaction! Avec ça, vous allez
vous envoyer en l'air”
J'ai demandé “C'est qui ce Kazanova?”
Il me regarda bizarrement avant de sussurer à mon oreille :”Un
aventurier Môssieur, LE séducteur Môssieur... plus de cent quarante
femmes à son actif dont des filles à peine pubères et même sa propre
fille... Môssieur”.
“Et pourquoi s'en sépare t il?” demandai-je.
“Excès de vitesse, Môssieur... l'aventurier s'est pris les pieds dans
le tapis et purge sa peine en prison à l'heure qu'il est. Vous feriez une bonne action en...”
Comme j'hésitais à l'idée d'acquérir ce tapis de l'inceste aux relents
adultères, il tenta une pirouette: “J'ai un concept-carpet et
aussi un tout nouvel hybride, le dernier cri... laine, soie et coton
mais les clients rechignent à essuyer les plâtres et
préfèrent les modèles éprouvés”.
Le dernier cri... ne me disait rien qui vaille, moi qui ne rêvais qu'aux
soupirs et plaintes suaves qui font la magie des soirées branchées d'Ispahan ou de Katmandou.
Je lorgnais sur le vénitien où Kazanova était grimpé au septième ciel tant
de fois.
“Allez...” conclut Ivan Détapi “je vous le shampouine gratis,
si vous signez là!”
Alors j'ai signé...
Je me demande si je ne me suis pas fait avoir avec ce tapis volant... sans
volant. On vient de me le refuser au contrôle technique.
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