mardi 25 août 2015

Mon musée des petits bonheurs


 





Comment évoquer mes petits bonheurs sans parler du cérémonial de Chabrot - en cinéphile averti, notre oncle Hubert disait Chabrol - j'avais toujours vu les anciens rafraîchir le fond de leur assiette de soupe avec une grande rasade de Passetoutgrain et on jouait entre cousins à qui imiterait le mieux leurs grands Sluurp qui ponctuaient ce rituel ancestral.
Qui était ce Chabrot ou Chabroù? Sans doute un bienfaiteur de l'humanité à en croire les yeux pétillants des vieux.
De mauvaise grâce Tante Anastazia s'y était mise elle aussi, même si rien n'égalerait jamais son infâme wodka frelatée à l'herbe de bison.
Un lointain cousin des Baux de Provence qui connaissait Mistral par cœur soutenait que l'expression venait de cabroù parce qu'on boit dans son assiette comme le ferait une chèvre, mais Oncle Hubert qui avait vu Le beau Serge en cinémascope au Louxor ne jurait que par son Chabrol.

Au musée des petits bonheurs je me dois d'évoquer l'incontournable ban bourguignon qu'on entonnait dans les banquets et surtout au dessert après quelques chansons paillardes dont j'ignore l'air et les paroles puisqu'on nous envoyait voir ailleurs si on y était!
Quiconque sait chanter “Tra la... Tra la... Tra la la la lère...” en approchant les mains en forme de coupe à hauteur de sa trogne pour les faire tourner comme si on regardait à travers est sans le savoir un pro du ban bourguignon.
Mes cousins et moi-même avions inventé une variante à une seule main qui permettait de pincer les fesses de la voisine; du coup, nos vieux avaient copié cette même variante pour nous coller une torgniole en retour.
A quoi ça tient un petit bonheur? A deux maigres onomatopées, cinq petites notes et neuf claquements de mains, pourtant ces simples scènes de liesse me font encore frissonner aujourd'hui.
Au XXIème siècle on ne chante plus, on fait des selfies qu'on poste aussitôt sur fesse de bouc, histoire de montrer sa tronche, son cul ou deux doigts d'honneur au monde entier et puis on va faire la sieste...
Et le kir, le vrai, celui avec un K majuscule pour lequel notre chanoine dijonnais céda l'usage commercial de son nom?
Ce petit bonheur tient en trois lettres et dix centilitres mais c'est magique.
Un vrrrai blanc-cass, m'sieurs dames c'est un tierrrs de vin blanc cépage aligoté et deux tierrrs de crrrème de cassis à 20°. Ajoutez-y un bon tierrrs d'accent bourrrguignon en rrroulant les 'R' et ces quatrrre tierrrs vous envoient tout drrroit au parrradis!!
Et pis chez nous on n'en boit jamais un seul mais deux.
“Vindiou! Tu vas pas rrrepartirrr sur une seule jambe!” disait notre voisin qui un beau jour ne remonta jamais de sa cave (sacrrré Dudule)
Taratata! Vous repasserez avec vos communards au vin rouge, rince-cochons, kir gaulois à l'hydromel, breton au cidre, royal au crémant ou impérial au champagne! Pourquoi pas un kir alsacien à la Kro tant qu'on y est?

Au cas où mes petits bonheurs vous auraient ouvert l'appétit, je terminerai par les escargots qu'on sert aux fêtes joyeuses et aussi aux enterrements, pourquoi pas aux enterrements ?
Si aujourd'hui l'escargot de Bourgogne arrive tout droit et sans se presser des pays de l'Est, à mon époque il naissait, vivait et mourait chez nous... pour les enterrements.
Pour ces funestes réjouissances le plat de cagnoles était servi religieusement avec un sachet de cendres adjoint à sa cuisson pour figurer une sorte d’hommage rendu aux cendres du défunt.
Oncle Hubert rompu aux cérémonies funèbres y allait toujours du même bon mot pour mettre un semblant de gaieté à la cérémonie: ”Si haut qu'on monte, on finit toujours par des cendres” disait-il en ignorant l'oeillade assassine de tante Anastazia.
Je réalise que ces petits bonheurs sont autant de coutumes qui éveillèrent ma curiosité de gosse et forgèrent mon palais - je veux dire mon caractère - et je me dois de terminer par cette vérité qu'Oncle Hubert ne manquait jamais d'asséner à son Anastazia : ”Les coutumes comme les femmes, sont faites pour être respectées et bousculées aussi”.



5 commentaires:

  1. Ah, les joyeux enfants de la Bourgogne !

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  2. D'ailleurs, les Bourguignons sont belges et les belges sont (en partie) bourguignons o:))) Voir le palais des ducs de Brabant et tout ce que Philippe le Bon a fait à Bruxelles o:)))

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    1. Vegas sur sarthe25 août 2015 à 22:37

      Ainsi je serais belge? Intéressant !

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  3. Et que le dialecte des bas-fonds bruxellois du dix-neuvième siècle était le burgonsch ?

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