Publié aux Impromptus Littéraires à partir de l'incipit suivant:
"Le
salon dormait dans la pénombre"
Le
salon dormait dans la pénombre et désormais c'était mieux ainsi.
Je
n'avais jamais aimé ce salon aux moulures tarabiscotées, aux
tableaux exotiques et aux lourdes tentures de velours rouge.
Je
n'aimais pas non plus la grande glace, taraudé par l'idée farfelue
qu'on pouvait m'y observer de l'autre côté du miroir.
Depuis
que j'étais môme le salon de tante Agathe résonnait chaque jeudi à
cinq heures du caquetage de ces poules aux yeux trop peints, aux
ergots trop pointus, aux bouches trop rouges et à qui il fallait
faire la bise sur des joues aux parfums surannés.
Depuis
cette époque je n'ai jamais aimé les jeudi, ces jours de grande
clarté, de tintement des petites cuillère en argent et de ce grand
déballage de lieux communs.
Je
rougissais aux compliments appuyés, à ces regards malsains posés
sur moi et j'aurais fui à toutes jambes s'il ne m'avait fallu
participer au service du thé et des sucreries auxquelles je n'avais
pas droit en leur présence.
J'aurais
voulu chasser ces gourgandines alors que je sens encore leur présence
et le froissement des étoffes dans la pénombre rassurante du salon.
Les
jours de pénombre voyaient des messieurs frapper l'huis du pommeau
de leur canne, de lourdes cannes de vieux messieurs bedonnants en
redingote et que j'introduisais au salon en baissant les yeux sur
leurs chaussures trop vernies.
Tante
Agathe s'amusait de ce rôle d'huissier qu'elle me faisait jouer
malgré moi chaque samedi.
Je
crois que je n'ai jamais aimé les samedi.
Dès
la porte du salon refermée je m'activais au rangement d'une cape,
d'un chapeau ou d'une canne pour filer au parc avec mes recueils de
poèmes.
J'ai
grandi avec Baudelaire, Mérimée et Musset sous les grands chênes
ou au bord de quelque allée de rosiers grimpants, loin des ronds de
jambe et des pincements de fesse.
J'aimais
la poésie, cette
langue que personne ne parle et que tout le monde comprend.
Et
puis est venu un jeune homme dont j'ignorais tout sauf qu'il était
beau, que tante Agathe était soudainement devenue belle et mes chers
poètes subitement ennuyeux.
Les
gourgandines se firent de plus en plus rares le mercredi, ce qui
n'était pas pour me déplaire et le salon me fut interdit chaque
jour un peu plus.
Tante
Agathe s'était mise au rituel de l'absinthe et moi à Zola dont
l'Assommoir m'ouvrit les yeux sur les misères et les vices de ce
monde.
Gervaise
attendait Lantier et moi je n'attendais rien plus que d'ouvrir la
maison au beau jeune homme dont j'ignorais tout mais qui aurait pu
être artiste, professeur de chant tant il enseignait si bien les
vocalises à ma tante...
Après
avoir bien beuglé elle devint ombrageuse, s'enfermait de longues
heures, prétextant des migraines jusqu'à ce jour où je lui trouvai
un gros ventre et osai lui en faire la remarque sur un ton
sarcastique.
Le
soufflet que je reçus me brûla longtemps, trop longtemps jusqu'à
aujourd'hui où j'ai serré son cou, son cou si blanc et cette gorge
qui roucoulait trop fort derrière la porte fermée du salon
enténébré.
Son
regard étonné avait laissé place à une peur panique tandis qu'un
collier de perles bleues naissait sous l'étau de mes doigts... Zola
n'avait-il pas ressenti cette même pulsion en imaginant sa bête
humaine ?
Maintenant
le salon dort dans la pénombre même si je crois deviner le
bruissement des étoffes et les râles étouffés.
J'ai
saisi la bouteille d'absinthe et l'ai lancée contre la grande glace,
celle que j'avais fini par appeler la grande garce.
Derrière
les débris du miroir il n'y avait qu'un mur triste.
J'ai
ouvert en grand la porte du salon même si je sais que le beau jeune
homme dont j'ignorais tout ne viendra plus.
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