On
s'était kiffés salle Gaveau aux répét de Palissandre et Melissa
ou Pelléas et Mélisande... bref, on s'était aussitôt accordés,
comme si le diapason du maestro avait mis nos palpitants à
l'unisson.
J'aimais
son hautbois et elle – sans me vanter – ma grosse flûte
traversière.
Elle
aimait Mozart et moi j'aimais sa anche, ses deux anches.
Le
seul hic était que c'était elle qui donnait son 'la' à tout
l'orchestre, soi disant parce que son instrument était le plus riche
en harmoniques.
J'ai
jamais été fort en harmoniques mais je sais aujourd'hui que c'est
parce qu'un hautbois ne s'accorde avec personne.
J'aurais
voulu que son 'la' ne soit qu'à moi, comme ses anches mais on ne
transgresse pas une tradition séculaire et même si son 'la' et ses
anches étaient à moi dans l'intimité de ce qu'on appelait notre
musique de chambre, j'enrageais qu'elle refile son 'la' à tout
l'orchestre, de la clarinette à la grosse caisse...
Alors
de Vivaldi à Bach, de Haydn à Schubert nos pupitres ont fini par
s'écarter insensiblement. Je voyais bien qu'elle se collait petit à
petit aux corps anglais au mépris de la hiérarchie.
J'ai
compris qu'elle délaissait les bois pour les cuivres, les discrets
pour les grandes gueules et les fêtards!
Je
me mis à lui trouver un son moins rond, je la trouvai même mal
embouchée, puis tout à fait discordante.
Son
timbre m'ayant écorché les portugaises plus qu'à l'accoutumée
dans son solo du prélude à l'après-midi d'un faune, je n'attendis
pas l'après-midi pour l'envoyer retrouver ce faune qui
l'embrouillait tant.
Je
lui baisai les mains car pour le reste c'était terminé et lui fis
mes adieux.
Il
ne faudrait jamais dire adieu, même au singulier... ça porte
malheur.
Le
lendemain alors qu'elle préparait maladroitement un canard pour
Pierre et son loup d'un certain Prokofièvre, elle se planta un
couteau dans le coeur.
On
l'a enterrée en sol mineur... elle était de Douai.
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