Publié aux Défis Du Samedi sur le thème "Ballade dans le dictionnaire"
Depuis
ma plus tendre enfance, gros ou à la rigueur petits j'ai toujours aimé les Roberts.
Sous la couette ou affalé sur la table, je me
délectais de leurs mots magiques, je m'abreuvais de cette nourriture de l'esprit dont Rabelais m'invitait à tirer “la substantifique moelle”.
De moelle, je n'en ai jamais tiré la moindre
parcelle mais je m'éveillais au monde, sautant allègrement l'interligne, de la tétine au téton avec un plaisir tout neuf.
Délaissant
(participe présent) des pages et
des pages de conjugaisons trop souvent rabâchées sur les bancs de la
communale, j'abordais celles érotiquement teintées de rose - bien avant
qu'on invente le minitel - que j'effeuillais
délicatement comme on dégraferait un chemisier, tentant de percer
leur secret au détour de savantes locutions.
Horace, Virgile et Molière s'y donnaient la
réplique Ad libitum à coups de mots étranges qui s'évanouissaient souvent avec des 'hum' et des 'usse' comme des feulements de vierge en pâmoison.
Au
début des années 60 où le maudit carré
blanc s'incrustait au bas de la lucarne magique - comment aurait-il
pu à l'époque être autrement que blanc sur fond noir - et me reléguait
dans ma chambre sans négociation possible, je retrouvais
mes chers Roberts et leurs pages déjà défraîchies...
Entre déprime - nom savant du
cafard, dégoûtant insecte blattoptère - et dépuratif - immonde sirop pour le foie - je passais cent fois et sans sourciller sur dépucelage qui n'était pour moi que
l'aboutissement d'un verbe transitif du premier groupe.
Combien d'émois, de suées, de palpitations,
de transpirations intimes ai-je connu au saut d'une page?
D'aréole à bisexuel, de
call-girl à déflorer, d'entraîneuse à fornication, de garçonnière à hormonal, d'intimité à jouissance, de kimono à
levrette, de masturbation à naturiste, d'orgasme à pédérastie, de Q (occlusive gutturale sourde) à revenez-y, de stupre à
téton (celui-là même qui me fit oublier tétine), d'utérin à vaginal, de wagon-lit à X (belle inconnue consonantique) j'exerçais mon oeil et
mon esprit à la plus belle discipline que l'homme ait inventée: la jouissance des mots.
Pourtant je sentais bien que Monsieur
Robert - après s'être fait un prénom en créant son dictionnaire
- avait fini par se lasser tant ses dernières pages manquaient de corps
et n'ayant trouvé que yaourt à me mettre sous
la dent, j'abordais la fricative sonore du Z en zozotant.
Je rêvai un instant - avec force postillons -
à quelque zébrure zigzagante sous la zibeline d'une zoologue zambienne avant de lâcher un Zut de dépit.
Il ne me restait plus alors qu'à satisfaire
cet immuable rituel qui rythme ma fabuleuse vie d'écrivaillon: reprendre au A...
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