Les Défis Du Samedi nous proposent d'imaginer une suite à cet extrait du récit de Julio Cortazar "Les armes
secrètes"
Il avait commencé à
lire le roman quelques jours auparavant.
Il l'abandonna à cause d'affaires
urgentes et l'ouvrit de nouveau dans le train, en retournant à sa propriété.
Il se laissait lentement intéresser par
l'intrigue et le caractère des personnages.
Ce soir là - hypnotisé
par la sculpturale Greta plus que dégoûté par son tyrannique mari - il
en
oublia de descendre à l'arrêt de Feuquerolles, chose qu'il faisait
une fois par semaine depuis un an pour rentrer du tribunal après ses
audiences.
C'est
l'obscurité soudaine d'un tunnel et cette désagréable pression sur les
tympans qui le ramenèrent à la réalité. Il n'y avait pas
de tunnel sur son trajet hebdomadaire.
Il referma à regret le roman sur l'odorante chevelure blonde. “Pardonnez-moi Greta, je reviens très vite”. Il crut l'entendre
soupirer. Elle soupirait si bien. Son mari devait l'espionner au coin de la page précédente...
Le
tunnel s'éternisait comme pour ajouter à son impatience et la veilleuse
du wagon était si faible qu'il ne distinguait rien autour de
lui, pas même la couverture imprimée du roman où l'avait cueilli le
regard bleu acier.
Durant
de longues minutes il se remémora les évènements des jours précédents,
ses doigts sur la couverture glacée, leur rencontre dès
la première page, cette attirance mutuelle sublimée au fil des
chapitres et que l'inquiétante présence d'un mari violent rendait plus
forte encore... et jusqu'à ce marque-page au parfum animal,
musqué, qu'il portait si souvent à ses narines.
A
la prochaine gare il allait devoir trouver un moyen de retour, prévenir
de son retard, se justifier une fois de plus sous le regard
soupçonneux de Marthe la vieille gouvernante.
Le
train finit par s'arrêter et comme il n'existe aucune gare dans un
tunnel il en conclut que la nuit était tombée. D'ailleurs les
magasins de la place étaient tous éclairés et plus vivement cette
armurerie où il entra machinalement.
Il
s'entendit commander un Smith & Wesson Model 36 et une boîte de
balles qu'il glissa vivement dans la poche de sa gabardine, tout
contre Greta. Elle devait sourire. Personne ne le connaissait ici et
il se sentit soulagé en se dirigeant vers la station de taxi.
Où donc avait-il entendu parler de Smith & Wesson Model 36?
“Vous le
tuerez, n'est-ce pas? Promettez-le! Jurez que vous le ferez pour nous deux”.
Dans
la pénombre du taxi il chargea le barillet de cinq balles,
méthodiquement. Greta guidait sa main sans le quitter des yeux, son
mari non plus. Il allait falloir le surprendre tant il semblait
monstrueux, presque indestructible mais rien ne l'arrêterait.
Marthe hurlerait, les enfants pleureraient mais tous excuseraient son geste, un geste bien anodin... une, deux, peut-être trois
pressions sur la gâchette pour être certain et tout irait mieux.
Combien
de fois avait-il été tenté de se précipiter à la dernière page,
redoutant d'y lire le pire mais aujourd'hui il voulait écrire
la suite avec Elle.
“Vingt francs... ça fait vingt francs” s'impatientait le taxi. La nuit était noire, si noire et le vent fort, si fort dans le
parc, les ombres si menaçantes.
Une ombre plus menaçante que les autres se dressa devant lui et il y eut cette formidable détonation dans ses
tympans.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire