Publié aux Impromptus Littéraires
Qui aurait pu imaginer qu'en
Chine cinq siècles avant J-C, la chute malencontreuse d'une baguette
jaune dite “samouraï” et valant dix points allait révolutionner le monde
feutré des jouets pour enfants sages et créer un véritable scandale
qu'on appellerait l'effet Mikado?
Dès lors, l'Empire Céleste ouvrait grand la porte à tous les excès.
On vit alors des enfants jouer au boomerang au risque de se faire
prendre à leur propre jeu, la baballe-à-son-toutou devint une activité
dominicale incontournable; on eut dit que chaque marmot prenait un malin
plaisir à faire tomber ses cubes et ses constructions.
La pesanteur s'en prenait aux objets les plus anodins, aux jeux les plus ludiques, les plus innocents.
Que le fait d'une golden tombée perpendiculairement sur le crâne d'un
certain Isaac Newton ait été considéré avec gravité par le monde
scientifique, passe encore, faire tomber des cailloux, des choux ou à la
rigueur des hiboux mais des joujoux?
On créa bien vite un ministère des JTNI, les Jouets Tombants Non
Identifiés afin de recenser les chutes, en mesurer les conséquences,
chiffrer les effets à long terme sur la planète et prendre les mesures
qui imposent et qui s'imposent.
C'est ainsi que - par arrêté ministériel - on mit une ficelle aux
bilboquets, des roulettes aux petits vélos, des ventouses au bout des
flèches de tir à l'arc, des airbags aux voitures à pédales et des
genouillères aux poupées.
Les filets des paniers de basket furent cousus, on gonfla les ballons
de football à l'hélium, on alla même jusqu'à souder entre eux les cubes
de Rubik's cube... un vrai casse-tête!
On interdit l'usage du cheval à bascule du moins dans sa forme
d'origine, ainsi que le dépôt de cadeaux de Noël dans les conduits de
cheminées !
On supprima les pales des boomerangs, on retira le lest des
okiagari-koboshi - culbuto en français - pour remonter leur centre de
gravité et au jeu de dames on interdit de superposer deux pions pour
représenter une dame par crainte des chutes de pion, réduisant
grandement l'intérêt du jeu.
Le cavalier des jeux d'échecs ayant été obligé de mettre pied à terre,
il fut pris pour un fou et les joueurs le devinrent aussi !
Alors de nombreuses petites voix commencèrent à s'élever puis des voix
plus fortes contre tant de mesures drastiques; ainsi naquit le MJLJ, le
Mouvement des Jeunes pour la Libération des Jouets.
Le MJLJ armé de frisbees, de sarbacanes et boulettes en papier campa
sous les fenêtres du ministère, on en vint aux menottes puis aux mains
jusqu'à décréter l'état d'urgence.
Soixante dix mille personnes dans mille huit cent magasins Toysrus durent subir une formation adaptée.
Déstabilisé, le ministère proposa alors des solutions étonnantes comme
créer des salles de jeu en apesanteur - des vols paraboliques en avions
Barbie - ou même supprimer l'usage des jouets.
Inévitablement un monde parallèle, sournois se développa, c'était gonflé
mais on vendait de vrais ballons de foot sous le manteau, on lançait le
boomerang dans les caves ou les sous-sols des parkings, bref les jeux
interdits étaient nés...
Un petit malin en fit même une musique, cette Romance Anonyme que le crooner Frank Michael a immortalisée ainsi : “Il
y a longtemps, Un film en noir et blanc Dessinait sur l´écran Le
chagrin d´une enfant Et ses larmes coulaient Sur son air préféré, Une
musique si jolie, Celle des jeux interdits”
Il était grand temps que ça cesse, qu'on fasse taire Frank Michael, que
les enfants retrouvent leur insouciance et leur joie de vivre, il
fallait une solution, un Zorro, bref un sauveur.
Là où certains attendent la chute, il fallait une contre-chute, un parachute.
Ça allait venir...
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